Cinéma

Plus de 250 réalisateurs protestent contre l’ONF et son président

L’annonce du renouvellement du mandat de Claude Joli-Cœur à la tête de l’Office national du film du Canada (ONF) a incité plus de 250 cinéastes à prendre la parole publiquement pour dépeindre une situation qu’ils jugent inacceptable. Du côté de l’ONF, les discussions avec eux sont « un peu dans un cul-de-sac ».

Pascale Ferland était finaliste au Gala Québec Cinéma cette année pour son documentaire Pauline Julien, intime et politique, acclamé par la critique. Pourtant, lorsque la cinéaste parle de ses batailles avec l’ONF, qui a produit ce long métrage, il est évident que ce ne fut pas une situation de rêve.

« Lorsque je suis arrivée à l’ONF, le salaire qu’on m’offrait était dérisoire. Je pensais travailler dans de bonnes conditions, mais c’était pire que ce que j’avais eu auparavant », dit la réalisatrice d’expérience.

« Ils me proposaient 20 000 $ pour un an de recherche, poursuit-elle. Je l’ai contesté et j’ai réussi à avoir 32 000 $… pour un an de travail. Ce n’est déjà pas beaucoup, mais, en réalisation, c’était encore pire comme salaire. » 

« Ça n’a pas de bon sens parce que les gens qui refusent de bien nous payer, ils sont bien payés, eux. »

— Pascale Ferland, réalisatrice

Elle fait partie des plus de 250 cinéastes canadiens, dont Mathieu Roy, Hugo Latulippe, Claude Cloutier et Chris Landreth, du groupe NFB/ONF Création, qui protestent contre le renouvellement du mandat de Claude Joli-Cœur à la présidence de l’ONF.

Tout comme Pascale Ferland, le groupe évoque des conditions de travail et des salaires inadéquats.

« Depuis les années 2000, sauf pour une réalisatrice, tous les créateurs à l’ONF sont contractuels, explique le réalisateur Philippe Baylaucq. On trouve ça curieux que les personnes qui imaginent, créent et signent les œuvres soient devenues les plus précaires. Nous sommes tous des pigistes sans aucun des avantages des employés de l’ONF. »

« C’est vraiment un mouvement historique. C’est la première fois que les anglophones, les francophones, les cinéastes d’animation et les documentaristes font front commun pour défendre leurs droits. »

— Pascale Ferland, réalisatrice

En plus de déplorer cette situation de précarité, le regroupement dénonce la part trop mince de l’allocation gouvernementale de l’ONF dévolue à la production de films.

« Des réalisateurs en avaient vraiment assez de se faire dire : “On ne peut pas faire cela parce qu’on n’a pas d’argent.” On se demandait : “Coudonc, comment ça, ils n’ont pas d’argent ?” On a fait des recherches, grâce à la Loi sur l’accès à l’information, pour voir les rapports annuels. Et avec nos crayons et nos calculettes, on s’est aperçus qu’on n’avait pas du tout la même perception de la façon dont l’argent avait été dépensé », dit Philippe Baylaucq.

« Depuis 16 ans, on constate un déclin de 56 % du financement dédié à la production de films, tandis que les dépenses allouées à l’administration, au marketing et aux salaires des cadres ont régulièrement augmenté », peut-on lire dans un communiqué du regroupement.

« On y tient, à l’ONF »

Des représentants du groupe NFB/ONF Création ont sollicité Claude Joli-Cœur et d’autres membres de la direction de l’ONF pour leur parler de leurs préoccupations. Ils ont également rencontré des gens au ministère du Patrimoine canadien, en janvier dernier, dans l’espoir de faire bouger les choses.

Jeudi, lorsque le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, a annoncé que Claude Joli-Cœur voyait son mandat renouvelé pour trois ans, ils ont décidé de prendre la parole publiquement.

« Comprenez qu’on est très réticents à aller vers le public. Quand vient le temps d’attaquer l’ONF, on fait très attention, parce qu’on y tient, à l’ONF. On ne veut pas donner des munitions aux conservateurs ou à tout autre groupe qui a comme objectif de fermer toutes ces institutions paragouvernementales », ajoute Philippe Baylaucq.

Sur sa page Facebook, la cinéaste Nadine Gomez, qui fait aussi partie du regroupement, a réagi : « Deux ans que des cinéastes d’un bord à l’autre du Canada s’organisent, se parlent, essaient de s’allier, c’est long, c’est lourd. Mais ils le font. Et c’est ça que le “très progressiste” gouvernement libéral leur dit : “Beau travail les chumys, ben cute, mais Claude, lui, sait s’occuper de vous. […] Vous, les petits artistes interchangeables (parce que y’a du monde au portillon) qui se plaignent qu’ils ne sont pas autant payés que les concierges de l’ONF, vous gossez, mais, lui, il nous comprend” », a-t-elle notamment écrit.

L’ONF réagit

En entrevue avec La Presse, Claude Joli-Cœur, commissaire du gouvernement à la cinématographie depuis 2014, souligne que NFB/ONF Création a apporté « de bons points » durant leurs rencontres et que, grâce au groupe, l’ONF a corrigé « certaines disparités, entre autres en ce qui concerne les salaires des réalisateurs ».

Il est toutefois en désaccord avec les critiques concernant l’argent alloué à la production en comparaison avec celui attribué à l’administration et au marketing. « Depuis que je suis en poste, le nombre de cadres est resté stable, et on est beaucoup moins d’employés », dit-il. 

« C’est une organisation gérée de manière très serrée. »

— Claude Joli-Cœur, président de l’ONF

Selon lui, sur un budget annuel de 67 millions, l’ONF consacrerait « à peu près 50 % à la production ». Il affirme aussi que le fameux « 56 % » ne tient pas la route. « En gros, ils n’acceptent pas les chiffres qu’on leur donne. Ça fait deux ans qu’on discute avec eux, on est un peu dans un cul-de-sac. »

Claude Joli-Cœur promet de tenir, à l’automne, une série de rencontres dans tout le pays pour discuter avec « tous les gens avec qui l’ONF travaille ».

Pour ce qui est de rencontrer de nouveau NFB/ONF Création, il conclut : « On va continuer à discuter de façon individuelle, mais certainement pas en groupe. Parce qu’ils représentent à peine 20 % des gens avec qui on travaille. »

Le ministre Rodriguez a, quant à lui, décliné notre demande d’entrevue. Par écrit, son bureau a indiqué que « Claude Joli-Cœur [avait] démontré qu’il [était] capable de livrer des résultats importants ».

« Son travail a permis à l’ONF d’atteindre la plus grande audience de son histoire. On a confiance qu’il va continuer à aider nos créateurs et notre culture à atteindre de nouveaux sommets », a répondu par écrit l’attaché de presse Simon Ross.

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