Éditorial François Cardinal

Projet de loi sur la gouvernance scolairE
Libérez les écoles !

Pour le ministre de l’Éducation, les écoles sont de vulgaires succursales des commissions scolaires, qui leur imposent « un pouvoir bureaucratique étouffant ».

Difficile de le contredire. Car Jean-François Roberge sait de quoi il parle.

Ancien enseignant, il a eu à vivre avec l’« abominable paperasserie » qu’infligent les commissions scolaires. Au début des années 2000, par exemple, il avait besoin de dictionnaires pour sa classe et il avait proposé d’utiliser une partie du surplus de 5000 $ du service informatique.

Pas possible, s’était-il fait répondre. La commission interdit formellement de transférer des fonds d’un budget à un autre… ce qui n’a pas empêché l’école de diffuser une directive en fin d’année pour dépenser rapidement les fonds restants. Seule façon de ne pas perdre ces budgets l’année suivante.

Résultat : l’école a acheté à la va-vite des centaines de clés USB dont elle n’avait pas besoin. Puis elle les a rangées dans une armoire…

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Pas difficile pour qui creuse un peu dans le réseau scolaire de tomber sur ce genre d’aberrations.

Les commissions scolaires ont peut-être rendu de fiers services depuis leur création, mais le temps a aussi fait ressortir les limites de ces structures lourdes et complexes.

En lisant les mémoires des commissions scolaires déposés dans le cadre des consultations sur leur abolition, on est frappé par l’écart qui existe entre la théorie et la réalité. Pour justifier le maintien des commissions scolaires, on présente les élus comme des acteurs incontournables du réseau vers qui se tournent tous les parents dont les enfants rencontrent des difficultés à l’école…

Or, dans les faits, quand les parents ont un besoin, ils se tournent habituellement vers un enseignant, le titulaire de leur enfant, la direction de l’école. Mais le commissaire scolaire, vraiment ?

La très faible participation aux élections scolaires (moins de 5 % en 2014 !) est ainsi un symptôme d’un mal plus profond : un faible sentiment d’appartenance pour cet ordre décisionnel, une mécompréhension du rôle des élus scolaires, un scepticisme par rapport au rôle « pédagogique » que remplissent les commissions scolaires.

Ajoutez à ça les nombreux reportages sur les excès et les dérapages, le rapport du Vérificateur général sur les frais administratifs, les problèmes de telle et de telle commission, et vous vous retrouvez avec un portrait qui n’est pas à l’avantage des commissions scolaires.

Des commissions dont on peine bien souvent à saisir la valeur ajoutée au-delà du regroupement de services.

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Dans un tel contexte, pas étonnant qu’on débatte de l’avenir des commissions scolaires depuis une bonne dizaine d’années. Pas étonnant que l’ADQ ait voulu les abolir, puis le PLQ et maintenant la CAQ.

Une volonté tout à fait compréhensible au moment où l’on souhaite dégager des sommes pour embaucher plus de professionnels, hausser les conditions salariales des enseignants, retaper des écoles et en construire de nouvelles.

A-t-on vraiment besoin d’une soixantaine de commissions scolaires qui comptent un total de quelque 700 élus rémunérés au Québec ?

Le projet de loi 40 déposé ces derniers jours fait le pari que non. Il propose de transformer ces petits « gouvernements locaux » en simples centres de service.

Les responsabilités des commissions scolaires au-delà des achats regroupés et du transport scolaire seraient ainsi distribuées entre le Ministère et les écoles, qui gagneraient ainsi en autonomie.

Et c’est très bien ainsi ! Car comme l’a révélé l’Enquête PISA 2012, « les établissements qui disposent de plus d’autonomie par rapport aux programmes de cours et aux évaluations tendent à afficher de meilleurs résultats que les établissements qui disposent de moins d’autonomie ».

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Pas sorcier : ce sont les écoles qui connaissent le mieux leur clientèle, leur milieu, leurs besoins.

Pourquoi faudrait-il qu’un établissement scolaire qui compte six élèves dysphasiques (trouble développemental du langage) reçoive les mêmes services génériques par tête de pipe qu’une autre école qui n’en compte aucun ?

Pourquoi une école qui veut miser sur un programme enrichi en science pour répondre à un besoin exprimé par les parents devrait-elle passer par un organisme régional qui aurait droit de vie ou de mort sur la proposition ?

C’est là que le mérite du projet de loi 40 se révèle : les écoles seraient tout simplement gouvernées par le conseil d’établissement, qui aurait le dernier mot sur le projet éducatif de l’école. Il pourrait ainsi statuer sur les orientations de l’établissement, les horaires, la grille-matières, les arts enseignés au primaire, etc.

Bref, l’école pourrait ainsi fixer ses valeurs, ce qu’elle est et où elle va.

Le mot clé du projet de loi : subsidiarité. On rapproche le pouvoir décisionnel de l’élève, de l’équipe-école, du conseil d’établissement. Comme il se doit.

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Le projet de loi 40 n’est pas exempt de tout reproche pour autant, disons-le.

On s’étonne, par exemple, de l’absence d’un protecteur de l’élève dans chaque école. Ou encore du caractère imposant du projet de loi, qui ressemble à un bill omnibus tellement il embrasse large.

Mais le principal irritant se trouve du côté des pouvoirs concentrés au cabinet du ministre de l’Éducation. Alors que Jean-François Roberge soutient qu’il pilote « la plus grande opération de décentralisation gouvernementale des dernières années », il s’attribue dans le même projet de loi un nombre considérable de responsabilités.

Quand on parcourt les 300 articles, on réalise que le ministre se réserve le droit de communiquer directement avec des parents ou des employés d’école. Il peut déterminer les cibles et les objectifs des centres de service ainsi que les exigences liées à leurs rapports annuels. Il doit autoriser les travaux de construction et d’agrandissement d’écoles.

Bref, on décentralise… jusqu’à un certain point seulement.

Remarquez, les centres de service auront tout de même une bonne marge de manœuvre. Ils auront des responsabilités dans la livraison des biens et des services. Ils seront chapeautés par un conseil d’administration (formé de parents, d’enseignants, de membres de la direction, etc.) qui jouera au chien de garde. Mais une certaine inquiétude demeure tout de même dans la centralisation qui s’opère au-dessus de leur tête.

Cela dit, ne perdons pas de vue l’essentiel : le gouvernement élimine enfin la politique du réseau scolaire. Il réduit les risques d’excès et de dérapages bureaucratiques. Il limite le contrôle imposé d’en haut aux écoles. Et surtout, il abolit enfin des instances en crise de légitimité depuis trop d’années.

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