Où sont les gardiens ?

Peu d’hommes masqués deviennent entraîneurs-chefs dans la LNH. Notre chroniqueur tente de savoir pourquoi.

Patrick Roy est parmi les candidats au poste d’entraîneur-chef des Sénateurs d’Ottawa. Suis-je surpris ?

Oui.

Pas à cause des états de service de Patrick Roy. Son palmarès comme coach est remarquable. Plus de 500 victoires en 12 saisons. Une Coupe Memorial avec les Remparts de Québec. Un trophée Jack-Adams, remis au meilleur entraîneur de la LNH.

Non. Ce qui m’étonne, c’est qu’une équipe étudie la candidature d’un ancien gardien pour un poste d’entraîneur-chef. Un fait rarissime. D’ailleurs, savez-vous combien de formations de la LNH sont présentement dirigées par un ex-gardien ?

Une seule. Les Red Wings de Detroit avec Jeff Blashill.

Un hasard statistique ? Non. C’est comme ça depuis l’invention de la rondelle. Dans la dernière décennie, seulement quatre gardiens sont devenus entraîneurs-chefs au plus haut niveau : 

• Patrick Roy (Avalanche du Colorado) ;

• Scott Gordon (Flyers de Philadelphie, Islanders de New York) ;

• Jacques Martin (Canadien) ;

• Jeff Blashill (Red Wings de Detroit).

Les deux premiers ont gardé les buts dans la LNH. Les deux autres, dans les rangs universitaires. Au total, ils ont été derrière le banc d’environ 3 % des matchs de la ligue depuis 10 ans. 

C’est très peu.

Pourtant, les gardiens sont reconnus pour leur sens de l’analyse. Pour leur compréhension des systèmes de jeu. Les chaînes sportives se les arrachent. En français comme en anglais. « Je regarde autour de moi, il y a des gardiens partout », note Marc Denis, analyste à RDS. La liste est longue : Patrick Lalime, Dany Dubé, Éric Fichaud, Jean-Sébastien Giguère, Martin Biron, Kelly Hrudey, Greg Millen, Brian Boucher et, jusqu’à cet hiver, José Théodore.

Mais rarement deviennent-ils entraîneurs-chefs.

Pourquoi ?

J’ai demandé à quatre anciens gardiens de réfléchir au sujet. Et d’émettre leurs hypothèses. 

Les relations

Les clubs de la LNH, c’est comme les fraternités d’université : on n’y entre pas sans avoir été recommandé. Les dirigeants aiment s’entourer d’anciens coéquipiers avec lesquels ils ont fait les quatre cents coups. « Les relations personnelles sont très importantes. C’est vraiment rare qu’un gars sorti de nulle part soit nommé », remarque Dany Dubé, qui a été gardien avant de devenir entraîneur-chef des Draveurs de Trois-Rivières, puis analyste à Cogeco et à TVA Sports.

Il croit que le système de copinage désavantage les gardiens. « Dans une équipe, les gardiens vivent en vase clos. Un peu comme les lanceurs partants au baseball. Ils ont une relation privilégiée avec l’instructeur des gardiens, mais ils parlent moins aux autres joueurs. Ils se font moins de contacts. »

Des propos corroborés par Martin Biron, qui a joué plus de 500 matchs dans la LNH. « Prends un joueur de centre. Il se tient avec ses ailiers. Dans une saison, il peut jouer avec huit, neuf, dix gars différents. C’est facile pour lui de se faire des contacts. Les gardiens, c’est différent. On se tient souvent avec l’autre gardien. Avec lequel on est d’ailleurs en compétition. La complicité avec le reste de l’équipe n’est pas la même. »

À noter que Patrick Roy a obtenu sa première chance comme entraîneur-chef dans la LNH grâce à un ancien coéquipier, Joe Sakic. 

Le tempérament

Pourquoi les gardiens sont-ils si différents de leurs coéquipiers ? « On est un peu des bibittes à part », rigole Marc Denis. Il n’a pas tort.

Jocelyn Thibault, directeur général du Phoenix de Sherbrooke (LHJMQ), a trouvé une belle image pour l’illustrer. 

« Nous, les gardiens, nous ne sommes pas des Marines au front. Nous sommes en retrait, loin des projecteurs. Nous préférons les rôles effacés, la stratégie. Je dirais aussi que nous avons un esprit plus analytique. C’est peut-être pourquoi ça prend plus de temps, développer un gardien, qu’un défenseur ou un attaquant.

— Et vous avez pensé devenir coach ?

— Oui et non. J’ai eu des occasions. Au hockey féminin, entre autres. Mais mon côté analytique m’a poussé vers un autre type de gestion. J’aime composer une équipe, faire du dépistage, parler avec les acteurs du milieu. C’est ça qui me passionne. »

Jocelyn Thibault souligne que plusieurs gardiens ont préféré des rôles dans l’ombre. John Davidson, président des Rangers de New York. Jim Rutherford, DG des Penguins de Pittsburgh. Ken Holland, DG des Oilers d’Edmonton. Il y a aussi eu Garth Snow, avec les Islanders de New York, et Ron Hextall, avec les Flyers de Philadelphie.

« C’est vrai que notre tempérament est plus proche de celui d’un gestionnaire », ajoute Marc Denis. Actionnaire des Saguenéens de Chicoutimi, il n’a pas l’intention de devenir entraîneur-chef. Mais un poste dans les opérations hockey ? « Ce n’est pas impossible que je me dirige de ce côté-là un jour. La gestion, ça m’intéresse. C’est drôle, quand tu y penses, parce que sur la glace, le gardien est un des seuls joueurs qui peut gérer le match. Il peut décider d’arrêter l’action, par exemple. Ou décider de quel côté ira la mise en jeu. Il est capable de prendre du recul face au jeu et de l’analyser. » 

La surspécialisation

Malgré leurs « différences », les gardiens sont nombreux au sein des équipes d’instructeurs dans la LNH. Souvent dans un rôle bien précis : celui d’entraîneur des gardiens.

Comment expliquer cette surspécialisation ? Martin Biron a sa petite idée.

« J’ai fait face au jeu toute ma carrière. Je connais très bien les structures de jeu. Les schémas en supériorité ou infériorité numérique. Les transitions. Je suis capable de voir les stratégies et de les expliquer. Sauf que je ne les ai pas expérimentées comme un attaquant ou un défenseur. 

— Qu’est-ce que ça change ?

— J’ai un bon exemple. L’hiver dernier, je coachais dans le bantam. Quand les gars rentraient au banc, je voulais leur expliquer un jeu. Prendre mon temps avec eux. Sauf que les gars, ils devaient retourner sur la glace. Genre, tout de suite ! Comme gardien, je n’ai jamais eu à me soucier des changements. Là, derrière un banc, je me rends compte que ça va vite. Je n’ai pas toujours le temps de penser à tout. »

Ce sont ces petits détails, selon lui, qui font que les gardiens font souvent de meilleurs adjoints que des entraîneurs-chefs. « Des gars comme Patrick Roy ou Scott Gordon, ils se sont rendus dans la LNH parce qu’ils avaient fait leurs classes. Ils avaient coaché plusieurs années dans les mineures ou le junior. Ils avaient “absorbé” ce rythme. »

Ce que Martin Biron n’a pas l’intention de faire. Il file le parfait bonheur comme analyse pour MSG à Buffalo. Il aimerait revenir un jour dans la LNH, mais dans un autre rôle. « Peut-être un poste au deuxième étage, dans les opérations hockey. Pour travailler sur un projet commun, avec une équipe. Ça me manque. »

Ces témoignages me convainquent que le prochain passage de Patrick Roy dans la LNH, ça ne sera probablement pas comme entraîneur-chef. Mais comme directeur général d’une équipe.

Et plutôt tôt que tard. 

DANS LE CALEPIN

Les investisseurs intéressés au retour du baseball à Montréal se sont associés à Devimco pour l’achat des terrains du bassin Peel. Une bonne stratégie. Prochaine étape : les consultations publiques de la Ville de Montréal, cet automne. Avec cet agenda, les promoteurs du projet ne s’attendent pas à une annonce du retour du baseball dans la métropole en 2019.

Le joueur-étoile d’Arsenal Henrikh Mkhitaryan ne pourra pas assister à la finale de la Ligue Europa contre Chelsea. Son club craint pour sa sécurité en raison de ses origines ethniques. C’est que les Arméniens ne sont pas les bienvenus en Azerbaïdjan, où sera présenté le match. Si les clubs étaient vraiment sérieux dans leur lutte contre le racisme, ils devraient refuser de faire le voyage à Bakou. 

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