Éditorial : Femmes autochtones disparues et assassinées

Une commission à redémarrer

Pendant des années, on a réclamé une commission d’enquête fédérale sur les femmes autochtones disparues et assassinées. Mais avant même de s’être mise en route, elle dérape déjà. La déception est à la hauteur des attentes.

À l’aube de la première journée d’audience aujourd’hui à Whitehorse, des familles et leaders autochtones sonnent l’alarme. À cause de la confusion et de l’improvisation, la commission se dirige, selon eux, vers un échec.

Il est difficile de ne pas leur donner raison. Le moment est venu d’appuyer sur « pause » pour relancer la commission sur de nouvelles bases.

Un tel remède draconien a déjà fonctionné. On l’oublie, mais la Commission de vérité et réconciliation avait elle aussi connu un départ atroce. Son président avait démissionné à l’automne 2008, quelques mois seulement après avoir commencé le travail. Il avait été imité peu après par les deux commissaires. Cela a permis de relancer la commission, qui allait accoucher cinq ans plus tard d’un rapport crédible avec 94 recommandations.

La commission sur les femmes autochtones a besoin d’une opération de sauvetage. Car déjà, un premier échec approche. Après Whitehorse cette semaine, aucune rencontre avec les familles n’est inscrite à l’horaire. Rien. Même pas à l’automne. Difficile de voir comment les commissaires pourront accoucher d’un rapport intérimaire pertinent avant la fin de l’année, comme le prévoit leur mandat.

D’où vient le blocage ? D’abord, de la communication déficiente. Plusieurs familles de femmes tuées ou disparues ne savaient pas comment participer à la commission. On leur a donné… un numéro 1 800 ou une adresse courriel. On leur a demandé de raconter l’expérience la plus traumatisante de leur vie à une boîte vocale.

Ensuite, il y a la confusion. Les commissaires ont refusé dans les premiers mois d’expliquer leur mandat. Des familles laissées à elles-mêmes croyaient que la commission rouvrirait des dossiers pour relancer des enquêtes. D’autres pensaient que la commission écouterait chacun de quelque 1200 cas recensés par la GRC. Or, ce n’est pas dans son mandat, et ce n’est pas possible non plus, à cause de l’échéancier serré. Les groupes de femmes autochtones des différentes provinces sont eux aussi confus – ils attendent encore de savoir s’ils obtiendront le statut d’intervenant.

Mais le problème est encore plus profond. Car si le travail de la commission est mal expliqué et mal compris, c’est aussi parce qu’il est mal défini. Après neuf mois, il n’y a aucun plan ou feuille de route. On ne sait pas encore qui parlera, ni où ni quand ni de quoi exactement. Et il reste seulement une année et demie pour écouter ces familles, consulter les experts puis écrire le rapport.

Tout cela est triste, car l’équipe de la commission travaille avec bonne foi et dévouement. Mais de toute évidence, cela ne suffit pas. On lui a donné trop de boulot et pas assez de temps. Son mandat est hyper vaste.

En plus de devoir enquêter sur les femmes disparues et assassinées, le gouvernement Trudeau lui demande d’examiner de façon plus générale la violence faite aux femmes.

En théorie, c’est logique – on analyse ainsi le problème dans sa globalité. Mais en pratique, cela mène la commission sur deux terrains différents : la sociologie (comment la pauvreté, la sous-scolarisation et d’autres facteurs rendent les femmes vulnérables) et la justice (comment les policiers et les conseils de bande combattent les agresseurs et réseaux de trafic humain).

C’est tout cela qu’elle doit fouiller. Pour l’ensemble du pays, dans les dizaines de nations isolées géographiquement, en moins de deux ans. Et pour compliquer ce casse-tête, il y a cinq commissaires, qui doivent s’entendre sur tout.

Malgré leurs meilleures intentions et leurs récents efforts pour mieux communiquer avec les familles et le reste de la population, leur mission paraît de plus en plus impossible.

Faut-il réinterpréter leur mandat ? Le prolonger ? Changer du personnel ? Peu importe la solution, elle doit marquer une rupture. Il faudra appuyer sur bouton « redémarrer ».

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