Crise chez le Canadien

Histoires de congédiement

À quel moment devient-il légitime de congédier un entraîneur ? Que se passe-t-il dans l’entourage d’un entraîneur en difficulté ? La Presse a sondé Guy Carbonneau, congédié en 2009, de même que Guy Charron et Frantz Jean, qui étaient respectivement adjoints de Michel Therrien et de Guy Boucher quand ils ont été remerciés.

GUY CARBONNEAU

Traverser la tempête

Le 8 mars 2009, le Canadien défait les Stars à Dallas et signe son cinquième gain à ses sept derniers matchs. Mais l’atmosphère autour de l’équipe est toxique, les histoires de mauvaises fréquentations des joueurs font la manchette et Carey Price vit une transition difficile vers le poste de numéro 1. Le 9 mars, Carbonneau est remercié.

« Tu te poses la question : comment 20 joueurs peuvent-ils tomber à plat en même temps ? L’effort était constant, mais il y avait des erreurs, des revirements, explique Carbonneau. C’est normal que deux ou trois joueurs ne soient pas dans leur assiette et fassent des erreurs. Mais 12 ou 15 à chaque match, c’est très difficile. C’est la même chose chez le Canadien en ce moment. »

Si Michel Therrien a souffert de l’absence de Brendan Gallagher et souffre encore de celle de Carey Price, les blessés sous « Carbo » avaient pour noms Robert Lang et Alex Tanguay. Saku Koivu avait également raté un mois d’action, mais il était de retour quand l’entraîneur a été congédié.

Le 17 janvier 2009, le CH présentait une fiche de 27-11-6 et avait 10 points d’avance sur la 8e place dans l’Association de l’Est. Le 9 mars, cette priorité sur la 8e place avait fondu à un point.

« J’ai toujours dit que tu dois traverser une tempête pour voir ce que tu as, poursuit Carbonneau. Je n’ai jamais eu la chance de traverser ma tempête, j’espère que Michel en aura la chance. Quand on m’a congédié, il nous restait 16 matchs, dont 11 à la maison. Souvent, quand tu changes d’entraîneur, tu veux que le nouveau soit placé dans une bonne situation.

« L’équipe vivait sur un nuage emprunté en début de saison, ajoute Carbonneau au sujet du Tricolore de 2015-2016. Je ne pense pas que l’équipe était aussi bonne que ce qu’elle montrait en octobre. »

GUY CHARRON

La pression du DG

Le 17 janvier 2003, Michel Therrien est remercié par le Canadien, mais son adjoint Guy Charron est épargné. Les Montréalais avaient surpris la planète hockey au printemps précédent en atteignant le deuxième tour des séries éliminatoires grâce à José Théodore. Mais en gagnant les trophées Hart et Vézina, le gardien avait fait passer son équipe pour bien meilleure que ce qu’elle était en réalité. Un an plus tard, la magie n’opérait plus.

« On n’avait pas le succès attendu. Dans ce temps-là, tu parles de congédiement, reconnaît Charron, aujourd’hui retraité à Kamloops, en Colombie-Britannique. André Savard [le DG à l’époque] nous avait rencontrés pour nous dire qu’il fallait que l’équipe s’améliore, sans quoi il apporterait des changements. C’est le genre de pression dont un coach n’a pas besoin. »

Un facteur commun que Charron voit entre sa situation de 2003 et celle du Canadien aujourd’hui, c’est le rôle du gardien. Le CH sans Price n’est pas la même équipe. Et à cette époque, quand Théodore a cessé de faire des miracles, le jeu d’ensemble s’en est ressenti.

C’est ainsi qu’en désavantage numérique, un aspect du jeu dont Charron était responsable, l’équipe était passée du 6e rang en 2001-2002 au 24e rang la saison suivante. « J’avais parlé à Carbo pour des conseils. Il m’avait dit : ton meilleur joueur en désavantage, c’est le gardien. Théo avait sauvé l’équipe plusieurs fois l’année précédente. La constance du gardien joue pour beaucoup. »

Selon Charron, un changement d’entraîneur doit se faire pendant la saison morte pour être efficace. Mais dans un monde idéal, il prône la patience. « Je suis un grand fan des Patriots de la Nouvelle-Angleterre, donc je crois que c’est mieux de ne pas trop avoir de changements ! Avant d’apporter un changement, l’organisation doit donner toutes les ressources au coach pour qu’il change la situation. »

FRANTZ JEAN

L’importance du gardien

Frantz Jean travaille avec les gardiens du Lightning de Tampa Bay depuis 2010. Il a donc vécu de près le congédiement de Guy Boucher. En raison de son métier, pas étonnant qu’il accorde lui aussi de l’importance au poste de gardien pour expliquer pourquoi des entraîneurs se retrouvent en difficulté. Et on fait assez vite le lien avec le Canadien.

« Regarde le Wild l’an passé. Il y a eu une grosse séquence de défaites [12 défaites en 14 matchs en décembre et janvier]. Le coach était sur la sellette. Le DG est allé sur la place publique et a dit que son entraîneur n’était pas le problème. Il est ensuite allé chercher Devan Dubnyk, et on connaît la suite. »

Le 24 mars 2013, le matin d’un match à Winnipeg, le Lightning annonce le congédiement de Boucher. Dix jours plus tard, Steve Yzerman met la main sur le gardien Ben Bishop, qui fera vite oublier le quelconque Anders Lindback. Mais les renforts sont arrivés trop tard, Boucher était déjà à la porte.

« La différence entre un gardien substitut et un gardien d’élite, c’est que tu perds 3-2 au lieu de gagner 2-1. Pas qu’il joue mal, mais c’est la réalité de son talent, de son cheminement. Un coach qui n’a pas de numéro 1 établi a moins de chances. »

Jean estime que Boucher a également été victime de ses succès de début de règne, comme l’a été Therrien après la campagne 2001-2002. À la première saison de Boucher comme entraîneur-chef, en 2010-2011, le Lightning avait atteint la finale de l’Est.

« Les attentes étaient ensuite élevées, mais on avait une équipe en transition. De la finale d’association, aujourd’hui, il reste seulement Steven Stamkos et Victor Hedman ! Beaucoup de joueurs sont partis ! »

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