Analyse

La boîte noire du placement dans la C Series

Quelque part dans la journée du 29 octobre 2015, j’essaie de contacter Jacques Daoust. Finalement, on me transfère à quelqu’un, qui me transfère au ministre de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations. Dans ma manche, je n’ai qu’une question. Le ministre m’annonce qu’il a très peu de temps : je n’aurai pas ma réponse.

Ma question : quel sera le rendement du gouvernement dans le placement de la société en commandite de la C Series ? Le ministre patine et précise que c’est une bonne entente pour le Québec. Quand j’insiste, il coupe la conversation en précisant qu’il doit faire une entrevue à TVA.

La phrase qui accroche

Pourquoi cette question ? Le communiqué de presse de Bombardier du 29 octobre 2015 était très clair. Une phrase subtile parmi tant d’autres pouvait retenir l’attention du lecteur avisé : « La participation que détient le Gouvernement dans la société en commandite sera rachetable dans certaines circonstances. » Peut-on être plus vague que cela ? Le placement rachetable signifiait que l’on pouvait potentiellement plafonner le rendement du gouvernement. 

Comme ancien auditeur externe, il est difficile de concevoir que les conditions de rachat soient cachées aux investisseurs quand l’investissement est de 1 milliard de dollars US. C’est une information significative qui a un impact potentiel sur les décisions des utilisateurs des états financiers : gouvernements, syndicats, investisseurs majoritaires et minoritaires, fournisseurs, etc. Qu’à cela ne tienne, malgré une demande d’accès à l’information, on me refuse la réponse. La réponse viendra finalement de Bombardier par communication orale : à la juste valeur. Reste à savoir quel modèle sera utilisé à ce moment pour la définir.

Le doute s’installe

Pourquoi avoir investi dans une société en commandite ? Était-ce la meilleure option pour la population québécoise ? Honnêtement, pourquoi ne pas avoir offert un prêt ? On dira qu’un prêt aurait peut-être généré une obligation de provision et que le gouvernement ne voulait pas avoir cet impact sur ses résultats.

Bien que je comprenne la logique comptable de l’idée, je suis dubitatif au sujet de la logique d’affaires.

Aurait-on pu demander une redevance sur chaque vente d’avion de la C Series ? De cette façon, quand Bombardier aurait des liquidités, la société les verserait en partie au gouvernement. Les solutions auraient été multiples. Pourtant, rien de cela ne transparaît dans le placement final.

Le processus opaque

Même quand Jacques Daoust a quitté le ministère de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations, on lui a laissé le dossier de Bombardier, tel qu’on l’a confirmé en janvier 2016. Pourquoi ? La réponse réside peut-être dans le processus. Jacques Daoust était-il le seul membre du gouvernement ayant été impliqué dans ce dossier ? En aucun cas, on n’a entendu parler de la consultation d’une expertise extérieure dans le processus. Contrairement au gouvernement fédéral, qui a retenu l’aide de Morgan Stanley pour lui permettre de reculer, le Québec a investi rapidement. Plusieurs questions demeurent. Qui était dans l’équipe d’analyse du placement dans la C Series ? Quels ont été les critères de décision ? Comment ceux-ci ont-ils été déterminés ? On ne semble pas avoir de processus clair.

Une occasion pour la vérificatrice générale du Québec

Quel devrait être le jeu de l’opposition ? Faire la lumière sur le processus d’investissement dans Bombardier. Comment faire ? Exiger un mandat de la vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc. On évite ainsi des solutions comme une coûteuse commission parlementaire ou une autre procédure spectacle. Il suffit d’intégrer dans le mandat de la vérificatrice une analyse du processus. 

Quels ont été les ratés, mais surtout, quelles sont les recommandations pour l’avenir ? Quel type de processus devrait-on établir ?

D’ailleurs, si j’étais la vérificatrice générale du Québec, c’est le placement qui me stresserait le plus. On doit sincèrement se demander si les réalités et projections actuelles ne forceraient pas le gouvernement à enregistrer une dépréciation du placement.

Ce que l’on peut redouter, c’est que la réalité ne soit pas aussi belle qu’on le pense. Ce que l’on peut penser, c’est que les experts en finance du gouvernement n’ont pas touché suffisamment au dossier. Ce que l’on peut penser, c’est qu’aucune aide d’expertise de pointe n’a été sollicitée.

Il faut poser la question qui tue : est-ce que c’est le ministère de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations qui a déterminé le mode d’investissement et les conditions ou est-ce Bombardier qui a mené le jeu ? A-t-on fermé la porte à des personnes ou à de l’expertise dans ce dossier ? Qui a communiqué avec le gouvernement, dans quelles circonstances et comment s’est déroulé le processus de négociation ?

Quand on observe le résultat, on peut se questionner : pourquoi Ottawa a-t-il eu une réaction beaucoup plus prudente que le Québec ? On a exposé le Québec à l’urgence ? D’accord, une analyse professionnelle aussi aurait pu se faire rapidement. Revoir le processus décisionnel et les différents acteurs présents pourrait aider le Québec à changer sa façon de faire pour l’avenir. Pour l’instant, d’un point de vue financier, deux mots trottent dans la tête : influence et improvisation. Il est temps d’avoir accès à la boîte noire de cette transaction.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.