Chronique

Un dur constat d’échec

La prise de contrôle du programme de la C Series de Bombardier par Airbus – sans que le géant européen n’injecte un cent de capital neuf dans l’entreprise – va, espérons-le, sauver la nouvelle famille d’avions dans laquelle Bombardier et le gouvernement du Québec ont englouti 7 milliards US depuis 2010. Mais cette transaction vient sanctionner durement l’incapacité de Bombardier à mener à terme ce projet qui devait transformer l’entreprise.

Il ne faut pas se le cacher, Airbus a mis la main sur la C Series pour une bouchée de pain. Airbus a profité de la même vulnérabilité financière qui avait conduit, il y a deux ans presque jour pour jour, la direction de Bombardier à initier avec elle des négociations en vue d’un rapprochement, mais qui ont rapidement échoué.

On connaît la suite, Bombardier s’est retourné deux semaines plus tard du côté de Québec pour lui vendre une participation de 49 % dans le programme de la C Series contre l’injection de 1 milliard US.

N’empêche, déjà à l’époque, l’éventualité que Bombardier cède le contrôle de la C Series à Airbus, contre l’injection de capitaux, avait surpris tout le monde.

Que Bombardier revienne avec la même proposition sans que Airbus ait à investir un cent dans le programme confirme le bourbier financier dans lequel est toujours empêtré l’avionneur québécois.

Alain Bellemare, PDG de Bombardier, a affirmé hier soir que l’adjonction de la force de frappe en marketing et en vente d’Airbus, sa puissante chaîne d’approvisionnement et son réseau de soutien à la clientèle constituaient une contrepartie suffisante pour que Bombardier lui cède le contrôle de la C Series.

Avec 31 % des actions, Bombardier vient d’être relégué au rôle d’actionnaire minoritaire du programme qu’il a conçu, développé et lancé en 2008 et financé depuis à coup de lourdes pertes.

Québec, qui avait pris une participation minoritaire de 49 % dans la C Series laquelle a été ramenée récemment à 38 % en raison de l’apport additionnel de capitaux qu’a réalisé Bombardier, se retrouvera davantage minoritaire avec seulement 19 % des actions.

On aurait pu imaginer que Bombardier décide de sacrifier le contrôle de la C Series afin de monnayer celui-ci contre une somme d’argent qui lui aurait permis de racheter la part de Québec. Bombardier aurait ainsi cloué le bec à Boeing et aux autorités américaines du commerce qui l’accusent d’être une entreprise outrageusement subventionnée.

Le plein contrôle à Airbus

Non, la nouvelle société en commandite contrôlée par Airbus va continuer d’opérer avec Québec comme troisième actionnaire. Et pour contourner le blocage commercial avec les États-Unis, Airbus s’engage, une fois la transaction complétée d’ici la fin du deuxième trimestre de 2018, à transformer son usine de Mobile, en Alabama, en usine d’assemblage de la C Series.

Les avions qui y seront assemblés seront considérés comme des avions américains et pourront ainsi échapper aux droits compensateurs américains

La clause la plus étrange de cette transaction reste les deux options qui ont été accordées aux deux plus importants actionnaires de la société en commandite, Airbus et Bombardier, qui pourront chacun l’exercer à leur convenance.

Sept ans et demi après la conclusion de la transaction, soit à la fin de 2025, Airbus aura l’option de faire une offre pour acquérir l’ensemble des actions que Bombardier détient dans la C Series, à une juste valeur marchande.

Inversement, d’ici la fin de 2025, Bombardier pourra exiger qu’Airbus rachète, à sa juste valeur marchande, la totalité de sa participation dans la C Series. À partir de 2023, la participation de 19 % qu’Investissement Québec détient dans la C Series pourra être rachetée par la société en commandite, donc ultimement par Airbus.

En d’autres termes, Bombardier compte manifestement se défaire de toutes ses actions dans la C Series, une fois que le programme aura atteint sa présumée pleine cadence de production, en 2025, laissant Airbus seul et unique maître d’œuvre du programme.

Si les dirigeants de Bombardier misent sur cet ultime pari pour éventuellement récompenser les actionnaires de l’entreprise qui n’ont pas été particulièrement choyés financièrement dans le passé, ils viennent aussi de sanctionner la marginalisation à court terme de Bombardier comme troisième acteur mondial de l’industrie aéronautique.

Que restera-t-il de Bombardier après la C Series ? Les jets d’affaires, les Q400 et les CRJ modifiés ? Bombardier ne sera plus jamais la plus grande entreprise manufacturière canadienne qu’elle a longtemps été. Ce qui aura été un lourd tribut à payer pour se sortir du pétrin.

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