OPINION ORLANDO, UN MOIS APRÈS

À la fois plus triste et plus gai

Les gais et lesbiennes (et bisexuels, queers, trans et tutti quanti) ne détiennent pas le monopole de la souffrance. Tous les humains la connaissent un peu, je pense bien.

Aussi ai-je beaucoup hésité avant d’écrire cette lettre. Car je suis gai, oui, dans le sens où j’ai, depuis ma tendre enfance, une attirance marquée pour les personnes du même sexe que moi. Mais je ne me suis jamais considéré comme « un gai » (expression que j’abhorre, du reste), dans le sens où j’ai toujours trouvé que cette appellation ne pouvait, à elle seule, me définir. Comme tout le monde, je suis un être humain complexe et mon orientation sexuelle n’a jamais été, à mon sens, qu’un aspect de ma personne.

Depuis la tuerie d’Orlando, par contre, je dois avouer que mon identité sexuelle a pris une importance que je n’aurais jamais soupçonnée. Pendant toute la semaine qui a suivi le carnage, j’ai ressenti une tristesse que j’arrivais difficilement à m’expliquer. Une tristesse doublée d’un grand sentiment de solitude.

Comme si j’avais l’impression qu’on banalisait, partout autour de moi, le fait que la pire tuerie de l’histoire des États-Unis ait aussi été un acte homophobe. D’autant que – comme toujours dans ce genre d’événement qui dépasse l’entendement – de nombreux médias ont été prompts à interviewer les premiers psys à leur portée, qui à leur tour ont été prompts à affirmer que le tireur (se réclamant pourtant de l’État islamique) était « probablement » un homosexuel refoulé aux prises avec un déchirement intérieur qui l’aurait rendu fou. Un peu plus et on parlait d’une autre affaire d’homosexuels…

C’est alors que m’est revenue une discussion que j’avais eue avec une amie, en 1989, à la suite de la tuerie de Polytechnique. Cette amie me parlait alors d’un acte antiféministe. Je me souviens que cette position me dérangeait et je me revois, arguant qu’il s’agissait avant tout de l’acte isolé d’un tireur fou et déconnecté. Comme si je ne voulais pas reconnaître qu’il s’agissait là d’un acte de haine contre les femmes, peu importe l’état de santé mentale de celui qui l’avait perpétré. Comme si je voulais nier cette réalité.

UNE INDIFFÉRENCE PROCHE DU MÉPRIS

Paradoxalement, 27 ans plus tard, c’est la réaction d’une féministe de la première heure (que je respecte et ne nommerai pas ici), à la suite du coming out de la chanteuse Cœur de pirate, qui a provoqué l’écriture de cette lettre.

Dans un statut Facebook (qui n’est jamais aussi anodin qu’on le voudrait bien), elle a écrit, en réaction à la sortie de la star : « désolée, mais on s’en fout », des mots qui ont rapidement été décriés par certains et qu’elle a par la suite justifiés en expliquant que pour elle, le fait que la chanteuse se dise queer ne changeait strictement rien à son appréciation de cette dernière. Une explication qui se tient, certes, mais qui a eu chez moi l’effet d’une indifférence proche du mépris.

Peu m’importe si Béatrice Martin, alias Cœur de pirate – qui cumule les succès dans les deux langues et affirme ne s’être jamais sentie aussi fière d’être canadienne que depuis l’accession de Justin Trudeau au poste de premier ministre –, avait ou non une once d’opportunisme au moment de son annonce. Je demeure convaincu qu’un coming out comme celui qu’elle a fait, même quand il s’ajoute à tous les autres qui semblent parfois n’en plus finir, est un acte de courage proche de l’acte politique.

Car en dépit de tous les lobbys ou du dérapage d’un transgenre lors d’une cérémonie officielle de recueillement, assumer publiquement sa différence en 2016, en plus d’être un affront pour les pourfendeurs de la liberté, est un acte de vie qui défie les lois auxquelles certains voudraient bien nous soumettre. Et un acte de foi dans la liberté.

Même si je n’ai personnellement jamais adhéré au concept de « fierté gaie », je suis, cette année plus que jamais, fier d’être la personne que je suis. Une fierté multipliée par le nombre de victimes qui n’a pas fini de m’habiter depuis ce douzième jour du sixième mois, l’envers du sixième jour du douzième mois qui a marqué Polytechnique.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.