Opinion Sylvain Charlebois

Le « OK boomer » dans notre assiette

Le prochain président des États-Unis sera fort probablement encore une fois issu de la génération des baby-boomers.

Cette génération domine toujours le monde politique et elle le dominera encore pendant un certain temps. Les baby-boomers ont grandi à une époque où tout était génial et où la plupart d’entre eux croyaient que rien ne changerait. Mais cela ne fait pas l’affaire de tout le monde.

Les jeunes générations démontrent ouvertement leur mécontentement envers les boomers. Les milléniaux ainsi que les jeunes de la génération Z ont du mal à interpeller les personnes plus âgées sur leur manque total d’inaction par rapport aux changements climatiques et sur leur résistance aux politiques progressistes. Sur un ton condescendant, les mots « OK boomer » se répètent sur toutes les tribunes.

Bien sûr, les tensions intergénérationnelles ne datent pas d’hier.

Les jeunes sont toujours à l’avant-garde des bouleversements générationnels, mais les motifs de plainte des aînés diffèrent d’une génération à l’autre. Les plus jeunes subiront à leur tour ce phénomène d’identité sociale. Le registre de plaintes changera, mais la dynamique restera la même.

Inutile de dire que les jeunes ressentent une certaine frustration de recevoir des leçons de la part d’une génération qui a joui d’une économie florissante, qui a eu plus de facilité à acheter une maison et de meilleures chances de trouver et de conserver un emploi. Les boomers ont eu la chance de naître au bon moment de l’histoire.

Pendant des années, le marché suivait les faits et gestes des boomers. Et l’alimentation n’a pas fait exception. 

Les boomers, connus pour leur égocentrisme et leur flair pour la découverte, ont créé au sein de l’industrie agroalimentaire une obsession d’offrir au plus gros groupe démographique des produits santé dans l’abondance et l’extravagance. Oméga 3, probiotiques ; l’ensemble des produits alimentaires devaient servir le « je, me, moi », d’une certaine façon.

Aujourd’hui, pour satisfaire la nouvelle génération, offrir de bons produits au goût exquis et à bon prix ne suffit plus. En plus du goût et d’un prix abordable, le produit doit permettre aux jeunes de sauver la planète. Pour l’alimentation, pendant que les jeunes agissent à titre de citoyens du monde, les boomers misent sur le plaisir et la prospérité. Le monde était moins compliqué qu’aujourd’hui, moins transparent, plus angélique. L’industrie alimentaire reflétait ce que les boomers désiraient. Des marques et des produits fantaisistes, entremêlés de folie et de gaieté. Tout allait bien, mais les choses ont bien changé.

De cruelles inégalités

Sans s’en apercevoir, le baby-boomer a vieilli en même temps que les pays occidentaux adoptaient un modèle économique bien huilé selon des mesures qui ont accentué les inégalités. Si le PIB et les salaires augmentent, et que le taux de chômage diminue, tant mieux. Mais les jeunes générations appliquent d’autres mesures qui rendent certaines inégalités cruellement plus visibles. Des inégalités entre nous, entre groupes, tout en réalisant que nos ressources ne sont pas illimitées.

Pour un secteur connu pour ses approches traditionalistes, l’industrie agroalimentaire vit une véritable métamorphose.

La grande majorité des entreprises s’adaptent à un marché alimentaire influencé par le désir des jeunes de mieux servir la planète.

Et pourquoi pas ? Les milléniaux les plus âgés atteignent presque 40 ans aujourd’hui. Ils ont des enfants et une influence économique de plus en plus palpable. Le mouvement des jeunes est surtout galvanisé par l’internet et les réseaux sociaux, alors c’est loin d’être terminé.

Avec l’aide de l’internet, les milléniaux forment la première génération à rejeter ce que l’industrie agroalimentaire leur offrait. Depuis plusieurs années, ces derniers invitent l’industrie à refaire ses devoirs.

La protéine animale se retrouve dans la ligne de mire des jeunes. Même si notre intérêt pour le produit animal ne cessera pas de sitôt, la plupart des experts s’accordent pour dire que notre dépendance à la production animale risque de diminuer avec le temps.

Ce n’est pas seulement parce que les jeunes consommateurs détestent le steak ou le lait ; ils auront accès à plus de choix, de vrais choix ancrés dans des valeurs propres à eux. Dans le passé, les choix offerts misaient surtout sur l’aspect superficiel, avouons-le.

Même si le concept de la production d’aliments en laboratoire peut paraître encore futuriste, elle cogne à nos portes. La possibilité de consommer des produits synthétiques ayant le même goût, ainsi qu’une texture et un profil nutritionnel identiques à ceux des produits conventionnels, représente une option qui intéressera les plus jeunes.

La technologie n’effraie pas les jeunes générations et l’industrie le sait.

L’héritage alimentaire des boomers demeure intéressant, mais il a aussi mal vieilli. À part la génération X, l’ensemble des générations offrira son empreinte particulière. Mais l’influence des jeunes d’aujourd’hui nous intrigue particulièrement.

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