Cet écran a été partagé à partir de La Presse+
Édition du 30 avril 2018,
section AFFAIRES, écran 2
« Ça va brasser encore à la prochaine assemblée d’actionnaires de Bombardier. Cette fois-ci, nous réclamons plus d’explications sur la rémunération de ses dirigeants, en suivi de l’opposition qui représentait le tiers des actions votantes l’an dernier », signale d’emblée le directeur du Mouvement de défense et d’éducation des actionnaires (MEDAC), Willie Gagnon. Il est aussi le principal représentant de ce regroupement d’actionnaires activistes dans les assemblées annuelles des entreprises québécoises en Bourse.
À pareille date l’an dernier, la direction de Bombardier était empêtrée dans la controverse suscitée par l’augmentation de 48 % de sa rémunération en bonis et primes, peu de temps après avoir été rescapée financièrement par l’injection de 2 milliards en fonds publics.
Cette controverse avait même forcé le conseil d’administration de Bombardier à modifier cette rémunération juste à temps avant l’échéance réglementaire de divulgation aux actionnaires, avant l’assemblée annuelle. Malgré cela, des actionnaires avaient voté contre cette rémunération amendée par une proportion jamais vue dans les annales de Québec inc. en Bourse, soit 35 % des actions B à vote simple.
Un an plus tard, le président et chef de la direction de Bombardier, Alain Bellemare, et ses quatre principaux adjoints de la haute direction se retrouvent encore au sommet de la rémunération des dirigeants, parmi la cinquantaine d’entreprises de Québec inc. qui valent plus de 250 millions en Bourse.
Pas étonnant, donc, que le MEDAC revienne à la charge dans le cadre de l’assemblée d’actionnaires de Bombardier, jeudi au Vieux-Port de Montréal, avec un vote sur une nouvelle proposition pour obtenir plus de détails sur la rémunération des hauts dirigeants.
Dans la circulaire de direction envoyée aux actionnaires, Bombardier leur recommande de voter contre cette proposition du MEDAC.
« Le conseil d’administration estime qu’il existe un équilibre approprié entre une communication ouverte avec les actionnaires, qui permet que leur opinion soit prise en compte […], et que les mesures déjà en place sont adéquates pour assurer la transparence du processus entourant la rémunération des membres de la haute direction. »
En plus de Bombardier, le MEDAC dépose aussi des propositions spéciales lors d’assemblées de 16 autres entreprises québécoises, en plus des grandes banques torontoises et de la Financière Manuvie.
« Malgré les nombreuses controverses et quelques changements réglementaires au fil des ans, la rémunération des hauts dirigeants demeure le principal motif de récrimination des investisseurs et des actionnaires à l’égard des entreprises où ils sont investis. »
— Willie Gagnon, du MEDAC
Selon Yvan Allaire, directeur exécutif de l’Institut sur la gouvernance d’institutions privées et publiques (IGOPP), la récurrence des récriminations envers la rémunération des hauts dirigeants d’entreprise – parfois frustrante en tant qu’analyste, admet-il – est alimentée par des « maillons faibles » dans la façon de faire parmi les conseils d’administration.
Entre autres, il montre du doigt leur recours à des firmes externes de consultants en rémunération et à des « groupes d’entreprises de comparaison » pour établir les principaux éléments de la rémunération des hauts dirigeants.
« Cette pratique courante parmi les conseils d’administration a, dans les faits, instauré une dynamique de surenchère continue de la rémunération de dirigeants parmi ces “groupes de comparaison”, au détriment de facteurs plus directement liés au contexte d’affaires de chaque entreprise », explique M. Allaire.
Parmi ces facteurs particuliers, Yvan Allaire mentionne le rapport entre la rémunération des hauts dirigeants de l’entreprise, en particulier son PDG, et la rémunération moyenne parmi les employés de l’entreprise.
Aux États-Unis, après les resserrements réglementaires qui ont suivi la crise financière et le krach boursier allongé de 2008-2009, les entreprises doivent désormais expliquer et divulguer à leurs actionnaires ce rapport de rémunération entre leurs hauts dirigeants et l’ensemble de leurs employés.
Mais au Canada, estime Yvan Allaire, avant de se faire imposer cette pratique encore nouvelle aux États-Unis, les entreprises devraient commencer par déclarer à leurs actionnaires que leur conseil d’administration est « officiellement informé » de ce rapport de rémunération entre les hauts dirigeants et les employés, et qu’il en tient compte dans la gestion de la politique de rémunération des dirigeants.
« Pour que le débat et les normes sur la rémunération des dirigeants continuent d’évoluer, il faut maintenant que les conseils d’administration soient plus incités à assumer leur responsabilité en la matière devant les actionnaires. »
— Yvan Allaire, directeur exécutif de l’Institut sur la gouvernance d’institutions privées et publiques
Selon Michel Magnan, professeur et analyste en gouvernance d’entreprise à l’École de gestion Molson de l’Université Concordia, « les controverses au sujet de la rémunération des dirigeants persistent parce qu’en dépit des améliorations à certains éléments, il y a encore des écarts importants entre le discours officiel des directions d’entreprise en faveur de certains changements et l’impact réel de ces changements lors de leur mise en pratique ».
En exemple, Michel Magnan cite le recours moindre aux options d’achat d’actions à prix d’escompte dans les primes aux hauts dirigeants en faveur d’un plus grand nombre d’attributions directes d’actions selon leur valeur boursière à ce moment.
« Selon le discours des conseils d’administration, qui sont les principaux responsables de la rémunération des dirigeants, le versement de bonis en actions plutôt qu’en options rend cette rémunération plus liée à la performance courante et future de l’entreprise, explique M. Magnan.
« Mais en pratique, il s’agit d’une réduction de la portion dite “à risque” de la rémunération des hauts dirigeants. Parce que les actions auront toujours une valeur marchande, en hausse ou en baisse, à moins que l’entreprise fasse faillite, alors que la valeur future des options d’achat d’actions peut tomber à zéro en cas de mauvaise performance des actions en Bourse. »
Une douzaine de présidents de Québec inc. en Bourse ont bénéficié d’une hausse de 30 % et plus de leur rémunération totale (salaire, bonis et avantages) durant l’exercice 2017. Et trois d’entre eux l’ont plus que doublé ! Parmi les hausses les plus significatives :
Michel Dallaire, Cominar
Président et chef de la direction
Hausse de 180 %, à 6,2 millions (dernier exercice en poste)
George D. Schindler, CGI
Président et chef de la direction
Hausse de 112 %, à 7,3 millions (1er exercice complet en poste)
Alexandre L’Heureux, WSP Global
Président et chef de la direction
Hausse de 104 %, à 6,1 millions (1er exercice complet en poste)
Luc Tanguay, Theratechnologies
Président et chef de la direction
Hausse de 75 %, à 1,5 million
Luc Jobin, Canadien National
Président-directeur général
Hausse de 48 %, à 12,3 millions (dernier exercice en poste)
À l’opposé, les baisses de rémunération sont rares parmi les présidents de Québec inc. en Bourse. Elles découlent souvent d’une riche rémunération antérieure ou d’un changement de fonction plutôt que d’un ajustement aux résultats moindres de l’entreprise. Des exemples récents pour l’exercice 2017 :
Pierre Dion, Québecor
Président et chef de la direction
Baisse de 77 %, à 2,5 millions (exercice partiel de départ)
Arjang J. Roshan, 5N Plus
Président et chef de la direction
Baisse de 60 %, à 1,6 million (1er exercice complet en poste)
Alain Bédard, TFI International
Président et chef de la direction
Baisse de 36 %, à 9,6 millions
André Desmarais, Power Corp./Financière Power
Président délégué du conseil, co-chef de la direction
Baisse de 35 %, à 4,4 millions (congé de maladie de huit mois)
Yvon Charest, Industrielle Alliance
Président et chef de la direction
Baisse de 24 %, à 2,4 millions
L’écart entre la rémunération des présidents d’entreprise et celle de leurs employés est de plus en plus critiqué. D’ailleurs, sa divulgation aux actionnaires d’entreprises est désormais obligatoire aux États-Unis, mais à peine discutée au Canada. Parmi les entreprises de Québec inc. en Bourse, les plus grands écarts selon les coûts totaux de rémunération par employé :
Glenn J. Chamandy, Gildan
Président et chef de la direction
Rémunération de 10,2 millions, soit 738 fois la moyenne parmi 50 000 employés
Brian Hannasch, Alimentation Couche-Tard
Président et chef de la direction
Rémunération de 9,9 millions, soit 513 fois la moyenne parmi 105 000 employés
Joseph C. Papa, Valeant Pharmaceuticals
Président du conseil et chef de la direction
Rémunération de 6,1 millions, soit 391 fois la moyenne parmi 20 700 employés
Alain Bouchard, Alimentation Couche-Tard
Président exécutif du conseil
Rémunération de 4,6 millions, soit 237 fois la moyenne parmi 105 000 employés
Neil Rossy, Dollarama
Chef de la direction
Rémunération de 4,1 millions, soit 228 fois la moyenne parmi 19 600 employés
11 % : c’est la hausse moyenne de rémunération totale en 2017 parmi les hauts dirigeants des entreprises de Québec inc. valorisées à plus de 250 millions en Bourse. Mais quelques entreprises étaient encore très au-dessus de cette moyenne :
Groupe d’alimentation MTY
Hausse de 236 %, à 4,6 millions, parmi cinq hauts dirigeants
WSP Global
Hausse de 72 %, à 14,7 millions, parmi cinq hauts dirigeants
Savaria
Hausse de 71 %, à 1,9 million, parmi cinq hauts dirigeants
Cominar Immobilier
Hausse de 69 %, à 9,3 millions, parmi cinq hauts dirigeants
Osisko (Redevances aurifères)
Hausse de 59 %, à 10,4 millions, parmi cinq hauts dirigeants
D’une année à l’autre, les baisses de rémunération totale font exception parmi les hautes directions de Québec inc. en Bourse. N’empêche, quelques baisses se démarquent pour l’exercice 2017, découlant surtout d’une rémunération de l’année précédente gonflée par des primes spéciales à certains hauts dirigeants.
Valeant Pharmaceuticals
Baisse de 79 %, à 27,8 millions, parmi cinq hauts dirigeants
New Look Vision
Baisse de 66 %, à 1,4 million, parmi cinq hauts dirigeants
5N Plus
Baisse de 43 %, à 3,7 millions, parmi cinq hauts dirigeants
TFI International
Baisse de 29 %, à 11,4 millions, parmi cinq hauts dirigeants
Québecor
Baisse de 22 %, à 16,3 millions, parmi six hauts dirigeants
Sources : documents réglementaires des entreprises (rapport annuel, notice, circulaire de direction)
Vous êtes investisseur en actions d’entreprises cotées en Bourse, mais vous peinez souvent à comprendre la rémunération de leurs hauts dirigeants, et son impact sur vos intérêts en tant qu’actionnaire et investisseur ?
Pour s’y retrouver, une firme québécoise de gestion de placement, GPS Medici, s’est dotée d’un schème d’analyse afin de repérer des entreprises modèles en matière de rémunération des dirigeants.
« Rares sont les programmes de rémunération des dirigeants d’entreprise qui sont réellement arrimés aux intérêts de leurs actionnaires », estime Carl Simard, président de GPS Medici.
Pourtant, « la rémunération conçue pour favoriser la création de valeur à long terme peut jouer un rôle-clé dans l’enrichissement de toutes les parties impliquées : actionnaires, dirigeants, employés, fournisseurs et communauté. En revanche, une rémunération irresponsable axée sur l’attribution massive d’options ou d’actions peut constituer une bombe à retardement ».
Selon le schème d’analyse de GPS Medici, les principaux critères d’une « rémunération raisonnable » des dirigeants se résument ainsi :
– bonis et primes basés sur l’atteinte d’un objectif de croissance du bénéfice par action ou du rendement du capital investi ;
– pas de primes ou bonis par l’attribution d’options d’achat d’actions, qui tendent à favoriser la valeur boursière à court terme au détriment du long terme. Au lieu, les primes salariales des dirigeants devraient servir surtout à l’achat d’actions de l’entreprise ;
– pas de régime de retraite particulier pour les hauts dirigeants, surtout lorsqu’ils sont actionnaires importants de l’entreprise.
GPS Medici a relevé quatre entreprises modèles en matière de rémunération de leurs dirigeants :
(titre CSU à la Bourse de Toronto)1
La rémunération des hauts dirigeants de cette firme de logiciels de Toronto, qui vient de réaliser une importante acquisition au Québec, représente moins de 2 % du bénéfice net, ce qui est « exemplaire » et « hors du commun », selon GPS Medici.
Points saillants :
– le président de CSU, Mark Leonard, qui n’est payé que 1 $ symbolique, considère que la valeur de ses actions est suffisante pour le rémunérer.
– CSU n’offre pas d’options d’achat d’actions à ses dirigeants, mais les oblige à investir 75 % de leur prime annuelle dans l’achat d’actions, avec une détention minimale de quatre ans.
– Pour obtenir sa prime annuelle, la haute direction de CSU doit générer un rendement du capital investi supérieur au taux de base de 5 % établi par l’entreprise. Et à tous les niveaux de CSU, la prime aux employés repose sur le rendement du capital investi et la croissance des revenus.
(titre MTY à la Bourse de Toronto)1
La rémunération totale des hauts dirigeants de cette entreprise de restauration s’élève à 4,6 millions, soit un peu plus de 5 % des liquidités libres générées par l’entreprise (90 millions en 2017). « C’est très raisonnable, et le meilleur exemple en rémunération parmi les entreprises de Québec inc. », selon Carl Simard, de GPS Medici.
Points saillants :
– MTY ne fait pas appel à des firmes externes pour déterminer la rémunération de ses dirigeants. Son conseil d’administration la détermine en fonction de la performance de l’entreprise par rapport à ses plans d’affaires et d’immobilisations au cours du plus récent exercice.
– MTY n’offre aucun plan incitatif à long terme ou de régime de retraite à ses hauts dirigeants.
– MTY n’a pratiquement jamais offert d’options d’achat d’actions à ses dirigeants depuis 2005. À l’exception d’une attribution spéciale en 2017 à son chef de la direction financière pour son rôle déterminant chez MTY, ce qui a fait bondir sa rémunération totale à 2,9 millions.
(titre RCH à la Bourse de Toronto)
Selon l’analyse de GPS Medici, la rémunération des hauts dirigeants de ce distributeur de quincaillerie d’ameublement et d’aménagement intérieur demeure « raisonnable » à 4,2 millions, ce qui équivaut à 6 % du bénéfice net de 67,7 millions en 2017.
Points saillants :
– La rémunération des dirigeants de RCH est intimement liée à la performance financière de l’entreprise, notamment la croissance du bénéfice par action. Aussi, RCH fait valoir que ces objectifs sont établis à « un niveau exigeant pour assurer la croissance soutenue et l’augmentation de valeur de l’entreprise ».
Toutefois, note GPS Medici, RCH pourrait mieux expliquer ses objectifs de croissance des ventes et du bénéfice. Pour le moment, l’entreprise « manque de mesures d’efficience comme le rendement du capital investi ».
De plus, GPS Medici remet en question l’allocation de retraite pour le président Richard Lord, prévue à près de 3 millions en décembre 2019, et son obtention additionnelle d’options alors qu’il détient déjà 7 % des actions de RCH et qu’il sera « grandement récompensé par leur appréciation à long terme ».
(titre LGT.B à la Bourse de Toronto)
À 3,3 millions en 2017, la rémunération totale des dirigeants de cette firme de services maritimes et environnementaux se qualifie comme « raisonnable » en proportion de ses principaux résultats financiers.
Aussi, note GPS Medici, le rendement annuel composé des actionnaires de LGS depuis cinq ans atteint 30 %, alors que la rémunération des dirigeants a augmenté à un rythme annuel composé de 4,8 %.
Points saillants :
– La rémunération des dirigeants de LGS est « conçue pour motiver et récompenser des niveaux élevés de performance dans les résultats de l’entreprise », de même que la « création de valeur à long terme pour les actionnaires », note GPS Medici.
– Les critères de prime annuelle sont « très bien expliqués et reposent sur des objectifs financiers clairs », dont le bénéfice avant impôt et le bénéfice par action comparés aux exercices précédents.
– La rémunération des dirigeants de LGS ne comporte pas de bonis en actions ou en options, souligne GPS Medici. En contrepartie, les contributions au régime de retraite des dirigeants apparaissent « élevées », en particulier pour la présidente, Madeleine Paquin, qui détient 15 % des actions.
NOTE 1 : Les clients et les associés de GPS MEDICI détiennent des actions de Constellation Software et de Groupe d’alimentation MTY dans leurs portefeuilles.