ÉDITORIAL ARIANE KROL

ARMES D'ÉPAULE
Le registre mérite mieux

Plus facile à dire qu’à faire ? C’est le constat qui s’impose au sujet du registre québécois des armes d’épaule. Le cafouillage avec les agents de la faune nous en a fourni une nouvelle preuve cette semaine.

Plus d’un an après la mise en service du registre, à peine plus du quart des armes visées ont été enregistrées. À ce rythme, le gouvernement Legault va traîner cette casserole jusqu’aux prochaines élections ! Il est temps qu’il prenne ses responsabilités et qu’il s’organise pour faire respecter la Loi sur l’immatriculation des armes à feu.

« Surtout, ne pas appliquer la loi » : c’est la directive que le ministère de la Forêt, de la Faune et des Parcs a donnée à ses agents de protection de la faune, a-t-on appris avec stupéfaction mercredi. Le ministre Pierre Dufour en a seulement été informé en début de semaine, indique son cabinet. Sérieusement ?

La Loi ne compte que 28 articles. Comment celui sur les agents de la faune, qui est central dans l’application du registre, a-t-il pu passer sous le radar ? Québec a beau affirmer que le départ de la sous-ministre associée à la Faune et aux Parcs, annoncé le soir même où a éclaté la controverse, est une « procédure administrative qui était déjà dans les cartons », on s’interroge…

Quelle qu’en soit la cause, cet épisode démontre une incroyable désinvolture par rapport à la mise en œuvre du registre.

À l’entrée en vigueur de la loi, le 29 janvier dernier, les agents de la faune ne disposaient toujours pas du strict minimum pour remplir leur mandat – c’est-à-dire un accès au registre pour contrôler les carabines et les fusils des chasseurs rencontrés sur le terrain. Et c’est seulement cette semaine que la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, a réglé cela avec la Sûreté du Québec.

Les ministres Dufour et Guilbault sont pourtant en poste depuis plus de quatre mois. Et ce registre n’est pas un obscur dossier parmi d’autres. Comment a-t-on pu oublier les agents de la faune ?

C’est d’autant plus étonnant qu’avec le faible taux d’immatriculation, leur rôle est plus important que jamais.

Se vanter sur les réseaux sociaux de « boycotter » le registre est une chose, être surpris en infraction à la chasse en est une autre. Confrontés aux amendes et aux confiscations prévues par la loi, les chasseurs récalcitrants fanfaronneraient sans doute pas mal moins et leur mésaventure convaincrait d’autres propriétaires de s’y conformer.

Hélas, même en ayant accès au registre, les agents de la faune ont un pouvoir très limité. Leur Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune leur donnant seulement un mandat de vérification, ils seraient obligés de faire appel à des policiers pour les constats d’infraction et les confiscations d’armes. Une lourdeur bureaucratique insensée au fond des bois !

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Le bel idéalisme qui prévalait au temps où l’Assemblée nationale multipliait les motions unanimes pour ravoir les données du fédéral a fait long feu. La réalité, c’est que l’instauration d’un registre québécois est pas mal plus pénible que prévu.

Plus encore que les problèmes de conception, c’est la résistance des propriétaires d’armes qui a été sous-estimée.

Selon le mouvement Tous contre un registre québécois des armes à feu (tristement célèbre pour avoir voulu tenir un rassemblement au parc du 6-Décembre-1989), des dizaines de municipalités ont déjà exprimé leur opposition au registre.

Les opposants ont même trouvé le moyen de détourner les propos de la ministre Guilbault. D’un argument bien intentionné (« Si les gens n’inscrivent pas leurs armes, le registre, il n’existe pas, à toutes fins pratiques »), ils ont tiré un raisonnement tordu : ne pas immatriculer ses armes est devenu une stratégie pour torpiller le registre. Une ministre de la Sécurité publique ne peut pas rester les bras croisés en regardant cela aller !

« Il existe une loi et tous doivent s’y conformer. Le registre est là pour rester, et il n’est aucunement question de l’abolir », a déclaré Mme Guilbault le mois dernier. Venant de la CAQ, dont plusieurs députés ont fait campagne en promettant aux anti-registre de porter leur message à Québec, la mise au point était salutaire. Mais visiblement, elle n’a pas suffi.

Les agents de la faune auront une première occasion d’intervenir durant la chasse au dindon sauvage, à la fin avril. D’ici là, Québec devrait s’organiser pour leur donner tous les pouvoirs nécessaires et lancer une campagne en faveur de l’immatriculation.

L’idée n’est pas d’accabler les chasseurs d’amendes et de confiscations. Des avertissements peuvent suffire dansun premier temps, mais le gouvernement doit montrer qu’il prend son propre registre au sérieux.

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