notre choix

Être le beau de quelqu’un

Dans la littérature en général, les laids, les gros, les pauvres et les vieux n’ont pas de vie sexuelle, en éternels exclus de l’amour. « J’écris de chez les moches, pour les moches », a déjà dit Virginie Despentes, en réaction aux normes écrasantes de la société.

Un amour de Louis-Michel Lemonde, publié dans la collection Liberté Grande de Boréal, n’est pas un récit parfait, mais il raconte quelque chose d’extrêmement émouvant : la rencontre foudroyante de deux solitudes. Et ça commence par une méprise. Dans un bar gai du Village, le narrateur complexé tombe dans l’œil de Jean-Louis, qui le pense beaucoup plus jeune que lui. De se voir jeune et beau dans l’œil de ce vieux gai laid l’excite, si bien que le quarantenaire se rajeunit de 10 ans encore et pousse l’audace jusqu’à lui demander de l’argent pour la baise, réalisant son « singulier fantasme de prostitution » qui l’habitait. « Avec mon “client”, qui m’a admiré d’emblée, l’extraordinaire possibilité de se faire des idées m’est offerte sur un plateau d’argent. »

Or, contre toute attente, c’est une véritable histoire d’amour qui va se tisser entre ces deux-là, et cela, sur des années. En dépit du fait que Jean-Louis est un être caractériel, grippe-sou, plein de préjugés et très à droite, anglophile anti-nationaliste (au contraire du narrateur), pas très sexy, avec quelques problèmes érectiles, qui vit dans une triste piaule et qui a les poumons ravagés par la cigarette. Ils sont comme deux chiens errants dans la froideur du monde, à l’image de cet épagneul abandonné, sale et craintif, qu’ils iront chercher au chenil et qui reprendra du poil de la bête en étant recueilli par eux. « Ce superbe spécimen baissait la tête comme pour esquiver des coups dès qu’on l’approchait ; en plus d’avoir été sous-alimenté, de toute évidence il avait été battu. Comme âmes damnées, rejetées, ne l’avions-nous pas été nous-mêmes à coups de paroles blessantes ? » Il faut dire qu’à sa façon, Jean-Louis est aussi un superbe spécimen, qui éblouit son faux jeune par son insatiable appétit sexuel, sa volonté de jouir jusqu’au bout de sa vieillesse, jusqu’à la mort.

Nous sommes ici dans le monde gai dont on ne parle jamais, prolétaires exploités loin du « pouvoir rose », chez une génération qui n’a pas été acceptée par ses proches, ayant évolué en cachette, en cachant ses défauts physiques dans la lumière tamisée des bars et sa calvitie sous des chapeaux, méprisée par le système médical (le système au complet, en fait), et qui meurt dans son coin, abandonnée par ceux-là qui viendront au final toucher l’héritage au nez des amants dévoués. Mais Jean-Louis, au moins, a été aimé.

C’est pathétique. C’est tragique. C’est triste. Et c’est beau.

Un amour

Louis-Michel Lemonde

Liberté Grande, Boréal

105 pages

***1/2

Inédit posthume

La très respectée Louky Bersianik, dont le titre du premier livre paru en 1976 a inspiré le nom de la librairie féministe L’Euguélionne, souhaitait faire paraître ce roman avant sa mort, ce que les Éditions du remue-ménage accomplissent aujourd’hui. Eremo (Chroniques du désert, 1939-1945) appartient, avec Permafrost (1997), à « la série de romans sur l’enfance, comprise dans l’ensemble inachevé du Squonk », précise la note des éditrices, et est la suite des Inenfances de Sylvanie Penn. « Il serait trop simple de décrire les Inenfances comme autofiction, peut-on lire, car chez elle, la mémoire s’invente et la mythologie déborde dans la théorie. L’autrice résistant non seulement aux limites des genres littéraires, mais aussi à la fermeture, à la finitude. La publier demeure un défi d’édition tant son travail se contient mal par une couverture cartonnée. »

— Chantal Guy, La Presse

Eremo

Louky Bersianik

Les Éditions du remue-ménage

134 pages

Un recueil de SF

Pour les fans de l’auteur Alain Bergeron, deux fois lauréat du Grand Prix de la science-fiction et du fantastique québécois, la collection BQ fait paraître le recueil Par des mondes tordus, qui réunit des nouvelles publiées depuis 20 ans dans des revues comme Solaris et Alibis, et qui touchent autant le fantastique que la SF satirique, le polar et la fantasy.

— Chantal Guy, La Presse

Par des mondes tordus

Alain Bergeron

BQ

139 pages

L’amour au temps des milléniaux

Est-ce qu’on peut rester ami avec son ex ? Et, d’abord, est-ce une bonne idée ? À travers une écriture joyeusement décalée, imagée et bien de son temps, Marie-Ève Leclerc-Dion, qui est amie dans la vraie vie avec son ex, pose la question. Entre frivolité parfumée à l’ironie et remises en question existentielles, au fil de courts chapitres qui donnent souvent à sourire, voire à rire, la jeune autrice amène habilement le lecteur à accrocher à son récit à l’air léger, mais qui n’est pas pour autant dénué de profondeur, en abordant des questions comme le choc de la séparation, la peur de la solitude, l’angoisse, ainsi que les aléas de l’amitié et du célibat. Ce faisant, elle s’intéresse moins à la quête amoureuse qu’à celle, ardue, de soi-même. Un premier roman bien tourné et une nouvelle plume drôle et incisive à suivre (pour se bidonner, on va faire un tour sur le compte Instagram du livre, où l’autrice envoie son livre à des « ex » bien connus comme… P.K. Subban et le Canadien !).

— Iris Gagnon-Paradis, La Presse

On peut-tu rester amis ?

Marie-Ève Leclerc-Dion

Littérature d’Amérique (Québec Amérique)

176 pages3 étoiles et demie

Littérature//Ce que La Presse en pense

Une très claire mais trop courte synthèse

Un des buts de la synthèse est de faire court. Celle-ci vise dans le mille. Elle fait le tour du sujet dans un style d’une clarté forçant l’admiration. Pour le lecteur néophyte, c’est une excellente entrée en matière. Les initiés, par contre, risquent de s’ennuyer. Cette nouvelle biographie s’ajoute à une avalanche ahurissante d’ouvrages sur l’ancien président français. Et comme elle compte plusieurs raccourcis, il est difficile d’être rassasié. D’autant plus que M. Phan annonçait que son ouvrage présenterait un de Gaulle non manichéen ou polarisant comme il a souvent été perçu. Un exemple de raccourci : l’auteur consacre un petit paragraphe au concept de la Françafrique. Ailleurs, néanmoins, on se félicite de le voir remettre certaines choses en perspective. Le meilleur exemple est celui de l’appel du 18 juin 1940 qui, aussi connu soit-il dans l’histoire de la France du XXe siècle, a été très peu entendu en direct. Idem avec le fait que de Gaulle s’est souvent mis en porte-à-faux avec le bloc de l’Ouest. M. Phan donne de bons exemples rappelant qu’il était néanmoins du côté de l’Occident quand il le fallait. En conclusion, l’auteur balance deux commentaires éditoriaux voulant que les successeurs du Grand Charles aient utilisé, bien plus que lui, les pouvoirs exécutifs qu’il avait créés à son retour aux « Affaires » en 1958. Encore là, il aurait fallu approfondir. En annexe, une chronologie fouillée est suivie par une bibliographie famélique.

— André Duchesne, La Presse

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