David Bowie 1947-2016

Il nous a encore eus

David Bowie nous aura mystifiés jusqu’à la toute fin.

On n’espérait plus rien de lui quand il a refait surface avec l’album The Next Day, en 2013. Après dix ans de silence média, il n’a pas donné d’interviews, laissant parler son principal collaborateur, le réalisateur Tony Visconti. Cet album inespéré n’était-il pas la preuve ultime que celui dont la santé inspirait les pires craintes était en forme ?

Cette fois, donc, Bowie nous refait le coup, mais plus personne ne s’étonne de ne pas le voir s’expliquer sur son nouvel album Blackstar, plus personne n’imagine que le Bowie qu’on voit bien en vie dans les clips de Blackstar et de Lazarus va bientôt rendre son dernier souffle.

D’aussi loin que je m’en souvienne, Bowie m’a toujours pris de court. Le folkie frisé que j’avais vu à la télé néerlandaise chanter Space Oddity à l’été 1969 et dont je m’étais procuré le 45 tours le lendemain était-il bien le même dont la longue chevelure blonde lui donnait des airs de Lauren Bacall sur la pochette de Hunky Dory deux ans plus tard ? Je n’étais pas remis de ma surprise que je le voyais réapparaître dans les magazines européens en Ziggy Stardust, le personnage androgyne flamboyant qui allait marquer l’histoire du rock.

D’un album à l’autre, Bowie n’était jamais tout à fait là où on l’attendait. Aladdin Sane donnait dans le rock à la Ziggy Stardust, mais avec en prime les magnifiques accents jazzés du pianiste Mike Garson. L’instant d’après, Bowie le prolifique, qui mettait son vaste talent au service de Mott the Hoople, Iggy Pop et Lou Reed, reprenait à sa manière, sur Pin Ups, des chansons chouchous des années 60 de Pink Floyd, Van Morrison, The Who et autres Easybeats.

Le Bowie qui m’a déjà dit qu’il écoutait presque uniquement de la musique expérimentale n’était pourtant pas sectaire. Au contraire, cet homme moderne était de ceux, de plus en plus nombreux, qui pouvaient apprécier tout autant l’art dit sérieux que la culture populaire.

On le suivait au fil de ce qu’il appelait joliment ses « accidents planifiés » et il nous donnait le goût d’en apprendre davantage sur ceux qui l’inspiraient, Philip Glass, Bertolt Brecht, Robert Wilson et Nina Simone aussi bien que Kraftwerk, les Mekons, Devo, Talking Heads, Klaus Nomi, Todd Haynes ou Damien Hirst. Bowie avait du flair et ce qu’il empruntait aux autres, avec intelligence et goût, il le rendait accessible à un public plus vaste.

David Jones, l’adolescent solitaire coincé dans une ville aseptisée de la banlieue de Londres, était devenu un homme de la Renaissance qui s’intéressait à la mode, à la photo, aux arts graphiques, à l’opéra et au cinéma. « David Bowie était tout au haut d’une très courte liste de personnes auxquelles on pensait pouvoir consacrer une exposition complète », m’avait dit en 2013 Victoria Broackes, commissaire de l’expo David Bowie Is…, créée au Victoria and Albert Museum de Londres.

En 1997, le temps d’une longue interview téléphonique, j’avais découvert que l’artiste que j’avais longtemps vénéré était également un homme charmant, érudit sans être snob, enthousiaste et curieux, volubile et généreux, qui riait souvent, notamment de ses bons mots. Un homme conscient de sa valeur, mais qui était également capable d’autodérision.

« J’aurais pu finir comme ces gens qui sont continuellement dans les médias et qui mènent ce genre de vie rock’n’roll », m’avait-il dit pour expliquer pourquoi il avait quitté Los Angeles pour Berlin au milieu des années 70.

Puis il avait ajouté avant de pouffer de rire : « On peut être fasciné par l’ombre que projette le soleil tout autant que par le soleil lui-même. Le danger, c’est de devenir l’objet qui provoque l’ombre. »

Adieu, David Bowie.

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