Opinion : Projet de loi 9

Que dissimule le projet de loi sur l’immigration ?

À la lecture du projet de loi 9 sur l’immigration, un œil averti constatera qu’il camoufle d’abord deux obsessions. On ne peut s’expliquer autrement ses incongruités.

Première obsession

Le gouvernement veut réduire à 40 000 le nombre annuel d’immigrants permanents admis. En soi, ce chiffre n’a rien de farfelu ni d’illégitime, mais s’entêter à y arriver dès l’année civile 2019 n’est pas réaliste. Espère-t-on naïvement que faire passer à la trappe 18 000 dossiers sera suffisant pour réduire le volume total des admissions de 2019 ?

En effet, aussi critiquable soit-elle, cette mesure risque d’avoir bien peu d’impact sur le volume total de 2019, pour une raison bien simple : le processus global de l’immigration, du début à la fin, prend généralement plusieurs mois. Ainsi, presque tous les immigrants qui obtiendront leur résidence permanente en 2019 sont déjà engagés dans le « pipeline » du mouvement : leurs certificats de sélection du Québec (CSQ) ou leurs visas ont déjà été délivrés et ils sont en route pour établir leur résidence permanente au Québec. Pour réduire le nombre pour 2019, il faudrait annuler plusieurs de ces CSQ et de ces visas déjà délivrés. Cela est proprement impensable et administrativement infaisable.

Deuxième obsession

La deuxième obsession, c’est d’arrimer très étroitement les candidats à l’immigration aux emplois disponibles à court terme, sans tenir compte des délais qu’implique le processus d’immigration permanente ni de la nature même de l’immigration que pratiquent le Québec et le Canada.

Atteindre un jumelage presque parfait entre les candidats et les besoins immédiats du marché du travail, c’est mettre en cause la nature même de l’immigration permanente.

La politique d’immigration du Québec a toujours visé à accueillir de futurs citoyens qui, avec leur famille immédiate, apporteront une contribution avantageuse à moyen et long terme. Pour cette raison, l’emploi ne peut pas et ne doit pas être le seul critère pris en considération. Ce qui doit être pris en compte, c’est un ensemble d’éléments qui peut inclure, bien sûr, un emploi offert au candidat dans une région hors du Grand Montréal, mais aussi son âge, sa scolarité, son expérience professionnelle, son domaine d’expertise, ses connaissances linguistiques, le profil de son conjoint et le fait qu’il ait des enfants. Ce sont ces éléments qui, pris ensemble, permettent de prédire le succès à moyen et long terme de l’intégration.

On ne peut s’appuyer, pour l’immigration permanente, sur le seul fait de détenir une offre d’emploi, car advenant que la conjoncture ou des changements technologiques fassent disparaître cet emploi, on se retrouvera avec des immigrants ayant un profil peu favorable (scolarité limitée, connaissance réduite du français ou de l’anglais, expertise circonscrite, profil du conjoint ignoré, etc.) possiblement incapables de s’adapter à la constante évolution du marché du travail. Ce serait privatiser les avantages de l’immigration et en étatiser les inconvénients.

Manque de connaissances ou aveuglement volontaire ?

Pour le reste du projet de loi 9, soit le maintien dans la région de résidence initiale, l’apprentissage du français et l’adhésion aux valeurs avant la fin d’un délai de trois ans, est-ce une méconnaissance de la réalité ou de l’aveuglement volontaire ?

Il est pourtant évident qu’en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, tout citoyen canadien ou résident permanent a le droit de s’installer et de vivre n’importe où au Canada.

Quant aux tests de langue et d’adhésion aux valeurs, c’est ironique de constater que le délai fixé pour y satisfaire correspond à la durée de résidence requise pour obtenir la citoyenneté canadienne. Pour éviter d’être soumis à ces exigences, le résident permanent n’aura qu’à obtenir rapidement sa citoyenneté.

Que cherche le gouvernement par ce projet de loi ? Plaire à tout prix à sa base électorale en tentant désespérément de réduire le volume des admissions de l’année en cours, quitte à se déshonorer, et en cassant du sucre sur le dos des immigrants en les menaçant d’expulsion ?

Ramener un peu de bon sens dans la mise en œuvre d’objectifs légitimes

Réduire le volume total des admissions n’a rien en soi de répréhensible, si c’est fondé sur une analyse sérieuse de la situation à moyen et long terme et réalisé avec un échéancier réaliste.

Tenir compte des besoins à court terme du marché du travail est un objectif louable, mais il existe déjà un programme conçu pour y pourvoir, les permis de travail temporaires. Qu’on prenne garde toutefois de faire de l’immigration temporaire, moins exigeante sur le plan du profil des candidats, le cheminement privilégié de l’accès à la résidence permanente. Ce serait fort mal avisé.

Reconnaître les vertus du système actuel de sélection des immigrants permanents

On a répété que le système actuel favorise indûment des candidats surqualifiés au regard des besoins réels du marché du travail. On cite allègrement des cas rencontrés d’immigrants diplômés universitaires qui conduisent des taxis ou qui travaillent comme plongeurs. Or, ce qu’on ne dit pas, c’est qu’il ne s’agit généralement pas d’immigrants formellement sélectionnés. Ce sont pour la plupart des conjoints d’immigrants sélectionnés, ou des demandeurs d’asile reconnus réfugiés et devenus résidents permanents.

Leurs problèmes ne sont pas la conséquence d’un système de sélection inadéquat. Il s’agit des effets secondaires d’une politique d’immigration civilisée qui comporte aussi un volet familial et un volet humanitaire. On ne pourrait y échapper qu’en déshumanisant nos méthodes et nos politiques, ce qui n’est pas envisageable dans une société comme la nôtre. Ce type de gestion de l’immigration existe dans des pays où les travailleurs étrangers ne peuvent avoir qu’un statut temporaire. Il n’en va pas ainsi au Québec et on s’en félicite.

Améliorer le processus de sélection pour éviter l’accumulation de milliers de dossiers en attente de traitement, c’est aussi une fort bonne idée. Mais rien n’empêche de le faire tout en traitant les 18 000 dossiers en souffrance.

Y a-t-il réellement péril en la demeure ? Depuis plusieurs années, la grille de sélection des immigrants met l’accent sur le capital humain des candidats. Au vu des données les plus récentes publiées par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), les résultats sont probants : les écarts dont témoignent les indicateurs du marché du travail entre la population native et la population immigrée, ainsi qu’entre la population immigrée récente et celle d’implantation plus ancienne se sont beaucoup amenuisés.

Pour employer une expression qui était chère à quelqu’un que l’actuel premier ministre admirait énormément (René Lévesque) : « Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. »

* Louis-René Gagnon a été secrétaire du Conseil des relations interculturelles et chef de poste à Damas, et Gérard Pinsonneault a été directeur de la recherche.

** Cosignataires : Jean Chouinard, retraité d’Immigration Québec, conseiller expert en immigration des travailleurs qualifiés, ainsi que chef de poste à New York et à Damas ; Marcel Collin, retraité d’Immigration Québec, chef de poste dans plusieurs villes, notamment Paris, Lisbonne et Milan ; Bernard de Jaham, retraité d’Immigration Québec, il a été directeur des opérations à l’étranger ; Jean Renaud, professeur émérite de sociologie, Université de Montréal, auteur de différentes études portant sur l’intégration des immigrants ; et Yvan Turcotte, retraité d’Immigration Québec, il a été sous-ministre adjoint responsable des politiques et des programmes ainsi que des opérations d’immigration permanente et temporaire

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