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Un eldorado pour Occidentaux sans scrupules

Bien que le procureur spécial Robert Mueller ait pris la décision de ne pas accuser le président Donald Trump de complot avec la Russie dans le but de manipuler les résultats de l’élection américaine en 2016, les Américains et leurs alliés ont encore raison de penser que le gouvernement russe exerce une influence secrète sur le pouvoir décisionnel de la Maison-Blanche.

En 2016, le candidat Trump a exigé que le Parti républicain enlève de son manifeste toute critique de l’agression russe envers l’Ukraine, une mesure qui a été suivie d’efforts supplémentaires en faveur de la Russie, une fois qu’il est devenu le président. Aujourd’hui, nous savons aussi que la Russie a fait tout en son possible pour favoriser son élection, et que durant sa campagne, Trump négociait un projet de construction de gratte-ciel à Moscou.

Comment Trump et d’autres politiciens prorusses tels que Silvio Berlusconi, l’ancien premier ministre italien, et Gerhard Schroeder, l’ancien chancelier allemand, ont-ils connu un tel essor ?

Depuis la fin de la guerre froide, deux transformations ont permis au gouvernement russe de cultiver des alliances à l’Ouest : l’intégration de l’élite postsoviétique à l’élite mondiale par la corruption, et l’émancipation du Kremlin de l’idéologie communiste.

Bien que l’Union soviétique ait placé des agents locaux au sein des gouvernements occidentaux durant la guerre froide, ce recrutement s’appuyait sur des moyens limités, notamment la tromperie, le chantage, la corruption et un appel à l’idéologie. Les Soviétiques ne pouvaient pas offrir aux dirigeants d’entreprise ou aux responsables gouvernementaux de l’Ouest des liens à grande échelle avec des entreprises soviétiques. D’abord, en raison de l’économie soviétique dominée par l’État, qui offrait peu d’occasions pour des investissements de l’étranger, et parce que les transferts financiers internationaux, surtout ceux concernant le bloc soviétique, faisaient l’objet de contrôles rigoureux par les gouvernements occidentaux. 

D’ailleurs, les quelques citoyens occidentaux qui visitaient l’URSS, et les citoyens soviétiques qui visitaient l’Ouest étaient sous surveillance. Conséquemment, les paiements soviétiques aux Occidentaux comportaient, en général, des offres d’argent, des transferts dans des comptes bancaires secrets, des sociétés-écrans, ou d’autres mécanismes clandestins.

Quant à l’idéologie, bien que certains Occidentaux de gauche aient été attirés par la coopération avec l’URSS, les Soviétiques ne pouvaient pas, en général, accroître leur pouvoir d’attraction, parce que leur régime était une dictature socialiste en opposition aux gouvernements occidentaux sur la scène géopolitique mondiale. D’ailleurs, l’aspect austère et réglementé de la vie en URSS était largement connu en Occident. Par conséquent, il y existait une forte aversion envers l’URSS au centre, voire au centre gauche du spectre politique.

Par contre, depuis cette époque, plusieurs processus ont transformé la Russie postsoviétique en partenaire intéressant pour des gens de l’Ouest sans scrupules. L’élite postsoviétique a pu s’intégrer pleinement au commerce international et à la haute société grâce à la déréglementation financière, notamment de l’investissement et du secteur bancaire étranger, et le manque de transparence dans la propriété des entreprises et la propriété immobilière.

Malgré des réformes économiques symboliques, les grandes entreprises de la Russie et de la plupart des autres pays postsoviétiques restent dominées directement, ou indirectement, par l’État, souvent avec l’aide des oligarques, des magnats ayant des appuis politiques, ou par de hauts fonctionnaires, aux services de renseignement en particulier. Par conséquent, les grandes sociétés russes liées au régime peuvent investir, embaucher, ou autrement financer des partenaires occidentaux que le Kremlin désire courtiser : un exemple particulièrement flagrant est Schroeder, qui agit comme porte-parole pour le projet de pipeline pétrolier de Nordstream, contrôlé par Gazprom, une compagnie russe. 

Aveuglement volontaire à l'Ouest

Entre-temps, des gouvernements occidentaux ont fermé les yeux sur le transfert de richesse des pays postsoviétiques vers l’Ouest, comme cela se reflète dans la controverse actuelle à propos des propriétaires anonymes et absents de propriétés de luxe à Londres, Vancouver et ailleurs.

De plus, l’Occident accueille des résidants et visiteurs de l’élite russe qui sont étroitement associés au gouvernement russe sans y être employés de manière officielle, comme Maria Butina, qui a infiltré la National Rifle Association des États-Unis (NRA), et qui a par la suite été accusée, et dont le nom est apparu dans le scandale Trump-Russie. Ces agents soi-disant autonomes masquent le rôle du gouvernement russe dans les transactions commerciales et les politiques occidentales.

De plus, l’abandon officiel du marxisme-léninisme soviétique a permis au gouvernement russe de se débarrasser de sa carapace idéologique invalidante.

Aujourd’hui, si la Russie s’intéresse toujours aux partis de la gauche, comme en Grèce et au Venezuela, elle lance également un appel à la droite anti-système, se présentant comme un bastion de conservatisme religieux, social et sexuel – comme l’atteste par exemple l’infiltration de la NRA. La Russie courtise même des entrepreneurs apolitiques, comme l’était Donald Trump lui-même.

D’ailleurs, contrairement aux outils soviétiques de propagande, RT, le service principal d’information de la Russie, n’offre pas une perspective idéologique homogène, mais encourage plutôt un cynisme et un scepticisme généralisé envers les autorités. Ces techniques ont rendu les liens de l’élite occidentale avec la Russie beaucoup plus acceptables du point de vue politique.

Comme le démontre Trump, la Russie moderne ne présente plus une opposition idéologique aux gouvernements occidentaux, elle les affaiblit plutôt en soudoyant nos leaders politiques et commerciaux, qui relaient ensuite l’influence du Kremlin dans nos politiques.

La résistance à l’ingérence politique de la Russie pourrait bien entraîner des tentatives directes d’enrayer ses tentatives d’espionnage et de restreindre son pouvoir par le biais de sanctions ou d’autres mesures punitives.

Ce faisant, il devient nécessaire de s’attaquer aux aspects les plus corrompus du monde contemporain en encadrant étroitement les opérations financières de valeur élevée, surtout celles impliquant les régimes autoritaires, ainsi qu’en imposant la transparence sur la propriété des biens de valeur – même si de telles mesures limitent les occasions d’affaires pour les particuliers et les entreprises de l’Ouest.

La protection de notre système politique pourrait nécessiter une aide financière accrue de l’État aux médias publics et indépendants, qui peuvent discréditer la propagande russe, ainsi que la divulgation des relations d’affaires et liens avec les médias des élus de premier plan.

Il faut également promouvoir la participation politique, les débouchés économiques et le bien-être de tous, et mettre fin au poids politique excessif, ainsi qu'à l’impunité juridique des ultrariches. En bref, si nous souhaitons vraiment sauvegarder notre système politique des intrusions de la Russie et des autres régimes autoritaires, nous devons d’abord nous rappeler pourquoi il vaut la peine d’être défendu.

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