Expédition

Des rivières et des ours

Six Québécois ont repoussé leurs limites (et les ours polaires) pendant 65 jours dans le Grand Nord

« Tout ce qu’humainement on peut faire avec un canot, on l’a fait. » La bande de l’audacieuse expédition baptisée AKOR est rentrée au bercail après s’être frayé, non sans peine, un chemin de 1600 kilomètres dans le Grand Nord québécois et labradorien. Soixante-cinq jours à la rencontre de la nature et de sa démesure. Récit.

« On en a eu pour notre argent », s’exclame l’un des aventuriers, Nicolas Roulx. Lui et son camarade Guillaume Moreau sont encore fébriles. Ça se sent même au bout du fil. Il y a moins d’une semaine, ils pagayaient avec une force encore inconnue le long de la périlleuse côte du Labrador pour atteindre le village inuit de Nain, leur point d’arrivée.

AKOR, c’est le rêve de six amis de longue date, adeptes du canot, qui ont voulu repousser les limites de leur sport en mettant le cap sur Nain, à partir de Schefferville. Le groupe de Québec a descendu les rivières De Pas et George pour atteindre la baie d’Ungava et remonter ensuite la rivière Koroc jusqu’aux monts Torngat, d’où ils ont longé la côte est vers le sud.

Début abrupt

Le rêve que la bande caressait depuis plus de deux ans n’a pas tardé à laisser place à la dure réalité dès le début du voyage avec un printemps plutôt tardif. Les premiers lacs traversés étaient encore gelés. Les aventuriers ont dû « tirer » leur canot pendant une dizaine de jours pour franchir quelque 160 kilomètres de glace.

« On tirait nos canots avec une corde, donc si on tombait dans l’eau, on avait toujours un lien avec la surface […]. Au final, tout le monde est tombé dans l’eau au complet au moins une fois », explique Nicolas Roulx. « La gestion de notre chaleur était difficile. Il a fallu puiser dans toute notre expérience de camping d’hiver », renchérit Guillaume Moreau.

Les jeunes canotiers ont pu pagayer un peu plus à leur goût en atteignant la grande rivière George. Mais le défi n’était plus le même lorsque les canotiers se sont retrouvés au centre de « canyons de glace » limitant les occasions de portage. « Ça faisait comme des murs de 6, 7 et même 8 mètres de glace de haut », illustre Nicolas.

« C’était de la glace instable, alors on ne pouvait pas vraiment sortir de la rivière. Chavirer à ce moment-là, ce n’était vraiment pas une option. On n’avait aucune marge de manœuvre. »

— Guillaume Moreau

Après un ravitaillement de trois jours dans le village de Kangiqsualujjuaq, le groupe s’est lancé dans la remontée de la rivière Koroc, en pleine crue. « C’était très physique, mais au moins, il faisait moins froid et on récupérait bien la nuit », indique Guillaume. Ils ont pu changer de bassin versant en atteignant la rivière Palmer après un portage d’une dizaine de kilomètres.

La transition les a menés jusqu’aux monts Torngat, où ils ont gravi le plus haut sommet du Québec, le mont D’Iberville, à 1650 mètres d’altitude, en deux jours. C’était la fin du voyage pour deux des leurs, qui avaient des obligations professionnelles. Les quatre aventuriers restants ont entamé un dernier trajet de 600 kilomètres qui allait aussi être le plus intense.

Devenir une « proie »

Longeant la côte est du pays, pagayant dans l’océan Atlantique, le quatuor de canotiers a été mis à rude épreuve. « On s’est ramassés à pagayer environ 150 kilomètres de côte où des falaises d’environ 800 mètres de haut coupaient droit dans l’océan, affirme Nicolas. Quand tu commences une section de 30 kilomètres de falaise, tu ne peux pas t’arrêter. »

« Ça ne te donne pas droit à l’erreur, ajoute Guillaume. C’est pour ça que c’est très rare que des gens s’aventurent là en canot. » De plus, l’endroit est réputé pour être habité par des ours polaires. Avant le départ, Nicolas avait expliqué à La Presse avoir pris « les moyens optimaux » pour se protéger de ces mammifères.

Il était loin de se douter qu’il les utiliserait autant.

« Les ours polaires, il y en avait partout, tout le temps, et là, tu n’es clairement pas au sommet de la chaîne alimentaire. »

— Guillaume Moreau

À quatre, ils ont dû se relayer presque toutes les nuits pour assurer une vigie et surveiller le prédateur. « À trois reprises, on a dû intervenir pour faire fuir un ours polaire qui était à quelques mètres de la tente. On avait le fusil chargé, prêts à se défendre, raconte-t-il. La côte a été extrêmement éprouvante parce qu’en plus, on ne dormait pas beaucoup. »

Le dernier matin, un ours polaire nageait près de leurs canots. « Là, on s’est dit : c’est assez, ce n’est pas vrai qu’on va refaire une autre nuit de vigie. On avait atteint la limite de ce qu’on pouvait endurer », poursuit Guillaume. Le groupe choisit alors de dévaler un long trait de 70 kilomètres. Ils sont arrivés à Nain le 11 août, à 21 h 30, après une journée de 14 heures de canotage.

Pas la fin

Malgré les embûches, les membres de l’expédition AKOR n’ont jamais douté qu’ils achèveraient leur mission. « Il y a eu des moments affreux », admet Nicolas. « Mais c’est une grande réussite qui a demandé une capacité d’adaptation à tout casser et des nerfs d’acier », résume-t-il, de la fierté dans la voix. Ses camarades partagent ce sentiment.

« Ça nous motive à nous pousser plus loin. On a tellement appris. On se rend compte qu’il y a des expéditions auxquelles on n’osait pas rêver et qui sont finalement accessibles. L’expédition AKOR ne s’arrêtera pas là », promet Guillaume. Reste que la bande s’accordera un peu de repos, et quelques bonnes nuits de sommeil, avant de rêver à son prochain défi.

Les membres de l’expédition

Nicolas Roulx

Charles Fortin

Guillaume Moreau

Sarah-Jeanne Giroux

Pier-Luc Morissette

Philippe Poulin

Un projet de recherche en marge de l’aventure

L’expédition AKOR s’accompagnait d’un projet de recherche scientifique mené par Guillaume Moreau, doctorant en sciences forestières, en collaboration avec l’Université Laval. L’équipe d’aventuriers a collecté des rondins pour mieux comprendre les effets des changements climatiques sur les arbres en région nordique.

Mais sur place, la bande a choisi d’élargir sa mission lorsqu’elle a découvert des sites ayant un potentiel archéologique. « Sur nos lieux de campement, on a trouvé des sites d’occupation inuite. C’étaient des ruines. On voyait bien l’empilement des pierres, les pièces dans les maisons », explique Nicolas Roulx.

« On a même trouvé des tombeaux où il y avait des ossements humains très bien conservés. Ç’a donné lieu à des moments exceptionnels », dit-il. L’équipe a donc pris plusieurs photos et noté des points GPS qu’ils fourniront aux autorités compétentes. Les membres de l’expédition se sont aussi donné la mission de raconter au maximum leur expérience.

Ils espèrent offrir des conférences, entre autres aux jeunes, pour « rendre le territoire accessible par des images et des histoires ».

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