Opinion : Témoignage de James Comey

Les questions brûlantes laissées en suspens

La comparution de James Comey hier a eu au moins le mérite de tirer trois choses au clair. La première : l’ancien chef du FBI a rapidement compris (dès leur première rencontre le 6 janvier, avant son arrivée à la Maison-Blanche) que le nouveau président était fort probablement un menteur et qu’il valait mieux garder des traces écrites de toutes ses conversations avec lui. Ça commence mal quand vous vous méfiez à ce point de votre futur patron.

La seconde : James Comey est lui-même tout un personnage public, probablement le plus influent des dirigeants du FBI depuis J. Edgar Hoover, pas tant en raison de sa force de caractère qu’en raison de ses immenses faiblesses. Celles-ci ont piégé Trump. Ainsi, Comey a admis ne pas avoir eu le courage lors de leurs rencontres de s’opposer au président chaque fois que celui-ci a fait pression sur lui (préférant écrire des comptes rendus pour se protéger), mais une fois renvoyé décide alors de faire fuiter ses notes au New York Times (par l’entremise d’un ami) alors qu’il a toujours vigoureusement dénoncé les fuites et les lanceurs d’alerte. Quelle ironie !

Enfin la troisième et la plus importante : Comey a d’abord répondu non à la question qui lui a été posée par le sénateur Burr, pour savoir si le président des États-Unis avait oui ou non entravé le cours de l’enquête et fait obstruction à la justice, mais a précisé ensuite « que ce n’est pas à lui de déterminer s’il y a eu tentative d’entrave, que ce sera au procureur spécial de faire cette détermination », enfin il a rétorqué plus tard au sénateur Risch avoir tout de même compris qu’il lui fallait « rediriger son enquête ».

Une réponse alambiquée, heureusement pour Trump, car dans l’affirmative elle aurait été dévastatrice pour celui-ci et ses chances de survie.

On aurait pu alors parier sérieusement sur une destitution éventuelle. Ce ne sera pas le cas, pour l’instant, et tant que le procureur spécial Robert Mueller ne déposera pas les résultats de son enquête indépendante et des motifs d’accusation judiciaire le cas échéant. Bref, on reste sur notre faim car nous n'avons touché hier que la partie visible de l’iceberg. Plusieurs questions sérieuses restent en suspens. Plusieurs secrets attendent encore d’être révélés.

Que contient et que révélerait le dossier Steele ?

La première rencontre entre Trump et Comey, la seule encore classifiée, concerne le dossier spécial conçu et soumis par un ancien du MI-6 (Christopher Steele) aux services de renseignement britannique et américain. Il touche des aspects apparemment « sensibles » et « grivois » (salacious) sur le comportement passé de Trump lors d’un passage en Russie il y a plusieurs années.

On imagine que pour que Comey en fasse part au président élu, dès le 6 janvier, c’est qu’à ses yeux les informations étaient potentiellement compromettantes. Je parie personnellement que c’est notamment sur ce dossier que l’ancien directeur a effectué en huis clos hier, après sa comparution publique, sa déposition devant le même comité de sénateurs qui l’a questionné. Il n’y a peut-être rien dans ce dossier de crédible, certes, mais il reste à expliquer l’obsession de Trump à vouloir constamment empêcher ou rediriger ailleurs l’enquête en cours sur la Russie. Qu’a-t-il à cacher exactement ?

Quels sont les liens de collusion entre l’équipe Trump et la Russie ?

C’est « la question qui tue » et elle est plus sérieuse encore que celle de l’entrave à la justice à mon avis. La comparution de Comey ne nous éclaire pas davantage. Combien de gens autour de Trump ont été impliqués – illégalement – dans une collusion organisée pour plomber la campagne de Hillary Clinton et nuire aux systèmes de votation dans certains États américains ?

Au départ trois organisateurs ont été soupçonnés (Paul Manafort, Carter Paige et Roger Stone) et ils seront probablement mis en accusation. Ensuite, il y a le fameux général Michael Flynn (premier conseiller pour la sécurité nationale) et qui fait justement l’objet de l’une des dénonciations importantes de Comey dans sa déposition. Flynn aurait menti à tout le monde sur ses contacts avec le régime russe avant son entrée en fonction.

Il en va de même pour l’actuel procureur général William Sessions qui a dû avouer être aussi en contact avec l’ambassadeur de Russie à Washington, avant d’être en poste, et il a dû se récuser. Cela expliquerait-il le fait d’ailleurs que Sessions n’ait pas ainsi défendu ou soutenu Comey après ses rencontres subséquentes avec Trump (notamment celles du 27 janvier et du 14 février) et ce, avant de devoir se récuser lui-même du dossier fin-février ?

Si cela ne sentait pas mauvais déjà, il y a enfin le cas du gendre du président Jared Kushner qui est actuellement sous enquête par le FBI pour avoir lui aussi menti sur ses contacts avec la Russie. Rappelons qu’en vertu de la loi Logan de 1799 il est interdit pour tout citoyen américain de négocier avec un gouvernement étranger ou de tenter d’influencer la politique étrangère sans autorisation officielle. La question encore plus pertinente est la suivante : dans quelle mesure Trump était-il au courant, aurait-il autorisé tous ces contacts – avant d’être président en exercice – pour servir ses intérêts, fussent-ils électoraux, financiers ou personnels ? Si cela est avéré, la cause de la destitution aurait certainement des fondements encore davantage justifiés.

Pourquoi Comey a-t-il été renvoyé exactement ?

Le moment le plus révélateur hier durant l’audience a sans nul doute été cette question qui a été posée à Comey par la sénatrice Feinstein. La réponse de l’ancien directeur : « Je ne sais pas vraiment. » Si réponse stupéfiante il y a, c’est assurément celle-là !

On se doute bien qu’il s’agit de son enquête sur la Russie et des liens de Flynn avec celle-ci. En même temps, Comey nous assure que le président lui a réitéré à maintes reprises qu’il faisait du bon travail, que le président ne faisait pas personnellement l'objet d'une enquête (ce que Trump ne manque pas de souligner depuis hier pour vigoureusement se disculper), bref, pourquoi changer d’homme dans la conduite de cette enquête ? (Le président découvrira bientôt à quel point Mueller est bien plus dur encore que Comey).

Sans doute Trump a-t-il compris que Comey ne travaillait pas pour lui (alors qu’il a dû penser exactement le contraire durant la campagne avec les déclarations dévastatrices de Comey sur les courriels d’Hillary) et qu’il ne lui ferait pas de cadeau. Il a alors mis en pratique sa phrase célèbre de l’émission The Apprentice : « You’re fired ! »

Pour en rajouter, Trump s’en est pris à tout le FBI, accusant le bureau d’ineptie. Cela pourrait se révéler en fait l’erreur la plus sérieuse de sa présidence : il ne faut jamais se mettre à dos les représentants du FBI. Cette erreur va le hanter pour les 1321 jours restants de son mandat présidentiel, en supposant qu’on se rende à la fin.

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