Chronique

Un projet du  150e anniversaire : abolir la monarchie

Elle nous a complètement pris au dépourvu, dans le salon, au jour de l’An. La reine, mesdames et messieurs, Élisabeth II elle-même, dans toute sa majesté, venue souhaiter un bon anniversaire au Canada à la télévision publique.

Éclats de rire généralisés. La scène est immédiatement apparue à mes enfants d’un comique carnavalesque. La… reine ? Voyons donc, c’est une blague ! Reine de quoi, reine de qui ?

La reine du Canada, les enfants. La reine de nous ! Nous sommes des sujets de la Couronne d’Angleterre et du Royaume-Uni, c’est écrit dans la Constitution. Sujets sarcastiques et incrédules, mais sujets néanmoins.

On a beau « savoir » la chose, l’avoir apprise à l’école, se la faire rappeler chaque fois qu’on tourne une pièce de monnaie du côté ousqu’il n’y a pas d’animal… Quand la chose apparaît concrètement, on peut en mesurer l’étrangeté.

Et ce qu’il y a de véritablement étrange avec cette chose qu’est la monarchie au Canada, c’est qu’elle ne soit remise en question par aucun des chantres du nationalisme fédéral. Ni les partis politiques nationaux, ni les leaders d’opinion, ni à peu près personne ne semble remettre cet état de fait en question.

Il faut vraiment qu’un pays ait un imaginaire politique pauvre pour s’accommoder d’un souverain étranger comme chef d’État.

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Pour avoir couvert le dernier « mariage royal », je conçois que pour les Britanniques, et même pour nombre de nationalistes écossais, la royauté ait un sens profond. Elle contribue pour eux à l’identité nationale, c’est un symbole de continuité politique, une incarnation de l’État, d’une forme de permanence des institutions. Bref, ils y sont attachés à droite comme à gauche, sauf de rares exceptions politiques à la marge.

À l’inverse, pour des raisons historiques tout aussi évidentes, la reine au Québec n’a fait courir les foules que pour provoquer des émeutes. Les représentants du conquérant britannique, puis du colonialisme suscitent historiquement dans le Québec français une gamme de réactions qui vont en gros de l’hostilité pure à l’indifférence.

Ce qui m’intéresse ici, c’est l’absence de remise en question, même timide, à l’extérieur du Québec ou dans les milieux fédéralistes québécois.

Ces jours-ci, vu l’état de santé chancelant de la reine, on voit apparaître dans les médias – Ottawa Citizen, National Post – des analyses sur la succession au trône. Ou des mises à jour des véritables pouvoirs de la souveraine britannique. Dans le Citizen, le professeur Philippe Lagassé écrit que le nouveau gouvernement Trudeau, même s’il a retiré les portraits de la reine au ministère des Affaires étrangères, a du même coup renforcé le rôle constitutionnel de la reine.

Il semble que le bureau du premier ministre ait tranché une querelle d’experts : certains étaient d’avis que le gouverneur général est un véritable « roi » investi de tous les pouvoirs juridiques ; d’autres arguent que la « vraie » reine a « personnellement » le pouvoir de nommer le gouverneur général et les sénateurs. Le gouvernement Trudeau a choisi cette deuxième école de pensée. Justin Trudeau, comme premier ministre, détient le pouvoir de représenter le gouvernement auprès de la reine directement – sans passer par son représentant canadien.

Dans le Post, on s’interroge sur ce qu’il adviendra de la monnaie et de toutes les questions passionnantes que soulève une succession au trône.

Mais de discussion sur la nature même du gouvernement monarchique canadien ? Je cherche…

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Mon étonnement n’est même pas antimonarchique. L’idée d’un pouvoir transmis héréditairement n’a évidemment aucun sens de nos jours, en terre d’Amérique. Mais si on y tient absolument, qu’au moins on se fabrique un roi du terroir, vêtu de peaux de castor !

Ce n’est pas non plus une question de coûts. Certes, les visites royales et l’entretien de Rideau Hall et des lieutenants-gouverneurs coûtent plusieurs millions. Il y a des économies à envisager ! Mais avec ou sans roi, l’État doit assumer les coûts de sécurité des visiteurs. Il faudrait remplacer le gouverneur général par un président, un chancelier ou un maréchal à la retraite, enfin bref, avec un personnage officiel sans réel pouvoir décisionnel, mais qui incarne l’État et assure la passation des pouvoirs de manière ordonnée.

Ce qui est humiliant, c’est l’idée même qu’un souverain étranger vienne visiter une partie de son royaume. Visionner The Crown, avec ses reconstitutions de visites royales entre autres, nous rappelle merveilleusement le colonialisme répugnant.

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C’est vrai, il faudrait pour abolir le lien monarchique britannique une modification constitutionnelle qui suppose l’unanimité des provinces. Ce n’est pas une mince affaire, on le sait. Les échecs de Meech (1990) et de Charlottetown (1992) ont créé un traumatisme politique et une sorte de phobie constitutionnelle.

Trudeau père n’a fait qu’une partie du travail de « refondation » canadienne : faire de la Constitution canadienne une loi… canadienne. Sa carrière politique n’a pas consisté seulement à lutter contre le nationalisme québécois. Il a tenté de construire un nationalisme canadien.

Comment se fait-il que ceux qui se réclament de son héritage n’abordent même pas la question de la monarchie ? Une pure question de symbole, dira-t-on. Un combat bien secondaire vu les enjeux de l’époque. L’imaginaire national, l’identité, sont pourtant construits en partie sur des symboles forts.

Résultat : au premier jour de l’année du 150e anniversaire de sa « fondation » constitutionnelle, c’est la souveraine d’un pays étranger qui nous souhaite (dans un bien meilleur français que bien des candidats à la direction du Parti conservateur, disons-le), un joyeux anniversaire.

Vous en cherchiez, un projet du 150e anniversaire ? Il est là…

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