« Coupez-lui le micro ! »
Denis Coderre aboie ses ordres au technicien de son qui se trouve au bord de la grande scène, dressée près du métro Parc. Monsieur le maire n’est pas content.
En ce 30 janvier 2017, des milliers de personnes ont bravé le froid glacial pour tenir un rassemblement à la mémoire des victimes de l’attentat à la mosquée de Québec. Même si les organisateurs de l’événement lui ont clairement fait savoir à l’avance qu’aucun élu n’était invité à faire de discours lors de cet « événement citoyen », Denis Coderre cherche à s’imposer sur la scène.
Lorsqu’ils voient le maire monter les marches qui mènent à la scène, les organisateurs réitèrent le message au micro : les élus ne sont pas invités à parler. La foule applaudit à tout rompre. Coderre est forcé de reculer. Il est furieux. C’est là qu’il ordonne au technicien de son de couper le micro.
« C’est à moi, tout ça ! », lance-t-il en désignant la scène d’un grand geste.
Cette scène s’est-elle réellement déroulée ainsi ? « Bullshit. Je n’ai jamais dit ça », dit Denis Coderre. « J’étais à côté de lui et il n’a pas dit ça », ajoute Denis Dolbec, le chef de cabinet de M. Coderre.
Deux témoins de la scène ont cependant décrit l’incident à La Presse, de façon indépendante et en utilisant précisément ces termes. Comme ces deux personnes, de nombreux interviewés ont exigé que leur nom ne soit pas publié dans ce reportage. Tous nous ont dit craindre des représailles de la part du bureau du maire.
« Ce jour-là, on a réalisé que certaines personnes étaient là plus pour le spotlight que pour la tragédie », relate l’un de ces témoins.
« On s’est dit : “S’il fait ça dans une foule, en public, qu’est-ce qu’il fait quand on ne le voit pas ?” », nous dit un autre participant à l’évènement.
Denis Coderre a toujours été une créature médiatique, mais son élection à la mairie a marqué une nouvelle étape dans son appétit pour les projecteurs. Il est tellement présent partout, tout le temps, que l’animatrice Marie-France Bazzo lui accole le surnom d’« omnimaire » dès la première année de son mandat.
Au cours des quatre dernières années, les Montréalais ont vu leur maire descendre dans un égout collecteur vêtu d’un habit qui lui donnait des allures de Minion, donner du marteau-piqueur sur une dalle de béton de Postes Canada, sortir d’une trappe déguisé en pape dans une pièce de théâtre, aller parler de sa prostate à « docteur » Éric Salvail.
« Je pense qu’il aurait voulu être un artiste, ironise la chef de Projet Montréal, Valérie Plante. Mais est-ce vraiment là le rôle d’un maire ? » « [Le spectacle], ce n’est pas le but. Mais je ne te dis pas que j’haïs ça, dit le maire en souriant. Bien souvent, les caméras ne sont pas là. Et moi, j’y suis quand même. »
Et le spectacle de Denis Coderre est manifestement un one man show. « Si une personne qui est au comité exécutif s’attend à avoir ne serait-ce qu’une petite visibilité, il va falloir lui expliquer une couple d’affaires », rigole une source de l’administration municipale, qui a côtoyé les élus de près. De fait, les élus sont presque toujours relégués au rôle de plante verte lors des sorties de presse. « Si tu as une bonne idée, il faut que tu t’arranges pour qu’elle ait l’air de venir de lui. Si tu réussis ça, la vie est belle », poursuit notre source.
Injures et fonctionnaires blêmes
Mais loin des projecteurs, si les choses ne vont pas à son goût, le côté sombre de Coderre fait rapidement surface. « Dans l’intimité de l’hôtel de ville, son tempérament bouillant s’exprime de façon visible. Il accueille les hauts fonctionnaires dont il n’aime pas le travail à coups de “câlisse” et de “tabarnac” », dit Laurent Blanchard, qui dit avoir reçu nombre de confidences en ce sens. L’ancien maire dit d’ailleurs constater « une désertion » de hauts fonctionnaires depuis quatre ans. « Quand il n’est pas content, il peut déployer beaucoup d’agressivité », renchérit une source qui a travaillé avec Coderre.
« Je l’ai vu revirer des fonctionnaires solide. Ils sortaient blêmes de la salle du comité exécutif », témoigne un collaborateur. « Les fonctionnaires ne font pas toujours leur travail correctement. Et il faut le leur dire », rétorque un autre proche de Coderre.
Certains élus y ont aussi goûté : deux sources de l’interne nous ont parlé d’un accrochage sérieux, devant témoins, entre Coderre et Harout Chitilian. « Tu ne me parleras plus jamais comme ça », aurait déclaré le vice-président du comité exécutif après avoir essuyé une bordée de reproches virulents. Le maire ne garde aucun souvenir de cette altercation. « Je ne m’en rappelle pas », nous a dit M. Chitilian. Il assure, comme tous les élus d’Équipe Coderre à qui nous avons parlé, que le maire est « direct et parfois cru », mais qu’il n’a jamais dépassé les bornes.
« Pour lui, on est tous des imbéciles », croit plutôt le maire d’Anjou, Luis Miranda.
« C’est connu dans la machine qu’il y a des bonnes journées et des mauvaises journées. Quand on tombe sur une mauvaise journée, même son personnel le dit : “Si j’étais vous, je ne passerais pas aujourd’hui”. »
— Une source issue de la fonction publique
« Quand il me parle, j’ai l’impression qu’il s’adresse à une adolescente. Il est vraiment mononcle », dit la dirigeante d’un organisme montréalais.
Valérie Plante siège avec Coderre au conseil d’arrondissement de Ville-Marie. « Dès que j’ouvrais la bouche, il se penchait, faisait des gros yeux et me disait : “Fais ça vite”. Ça m’a pris un petit bout de temps avant de me dire : “Hé, toi, la féministe, tu es en train de te laisser intimider par ce dude-là !” »
Ce tempérament explosif a joué de vilains tours au maire : devant la commission Chamberland, il est forcé d’admettre qu’il a « pété sa coche » avec l’ex-chef de police, Marc Parent, au sujet de la requête du journaliste Patrick Lagacé quant à une contravention qu’il aurait supposément omis de payer. Ses adversaires en ont d’ailleurs tiré une publicité électorale.
Sur le même ton, le règne Coderre est également marqué par des accrochages majeurs avec les journalistes. Les reporters de tous les grands médias de la métropole se sont plaints à la Fédération professionnelle des journalistes (FPJQ) du comportement du maire de Montréal et de son personnel. La FPJQ a dénoncé publiquement « des tactiques d’intimidation récurrentes », parfois directement dirigées par le maire lui-même à l’endroit de représentants des médias dont il n’apprécie pas le travail.