OPINION ÉNERGIE

Parler d’essence et ne rien faire

C’est le grand paradoxe du pétrole : personne ne semble en vouloir, mais tout le monde en achète

Un peu comme la météo, nous adorons parler du prix de l’essence. C’est un produit qui est en effet fascinant : on ne le voit jamais et c’est le seul produit dont on affiche le prix au dixième de cent.

Alors que tout le monde dit se préoccuper de ne pas payer trop cher, c’est un des rares produits pour lesquels le gouvernement s’assure qu’un prix minimum existe. La justification est assez simple : pour permettre aux petites stations-service de survivre face à des concurrents plus gros, prêts à casser temporairement les prix.

Les fluctuations du prix de l’essence sont aussi fascinantes. En 2016, la plus grosse baisse de prix à Montréal notée par la Régie de l’énergie (chargée de surveiller les prix des produits pétroliers du lundi au vendredi) a eu lieu le lundi 29 février : moins 12,5 ¢/litre par rapport au vendredi précédent. La plus grande hausse a eu lieu deux semaines plus tôt : 17 ¢/litre de plus que la veille, le mercredi 17 février.

En fait, contrairement à ce qu’on pense souvent, ce n’est pas le vendredi que les plus grandes hausses surviennent. En 2016, c’était le mercredi.

En moyenne, l’essence a augmenté de 2,1 ¢/litre ces jours-là. Les lundis par contre, l’essence se vendait 3,9 ¢/litre moins cher que les vendredis précédents. Dans les chiffres de la Régie de l’énergie, pour Montréal, il n’y a jamais eu de hausse le lundi en 2016 ! Les jeudis et vendredis ont été bien calmes : seulement 0,4 ¢ et 0,5 ¢ de hausse, en moyenne, beaucoup moins que les mardis, avec une augmentation de 1,3 ¢/litre.

Une chose qui en fait enrager beaucoup est vraie : les hausses moyennes sont beaucoup plus grandes que les baisses de prix. Toujours pour Montréal, en 2016, l’augmentation d’un jour à l’autre a été de 8,5 ¢/litre, alors que la baisse n’a été que de 2,1 ¢, en moyenne. Mais il y a eu presque quatre fois plus de jours où les prix ont baissé… alors doit-on se plaindre ?

Ces fluctuations, qui font beaucoup parler, n’ont pas d’explications très détaillées. Ce ne sont ni les crises au Moyen-Orient ni des complots financiers qui les expliquent.

Quelques gestionnaires cherchant à maximiser les revenus des stations-service dont ils sont responsables déterminent les prix, et leurs concurrents s’ajustent très rapidement.

De l’autre côté, par contre, l’ajustement se fait aussi, mais plus lentement. La demande pour l’essence ne change pas beaucoup d’un jour à l’autre, mais d’une année à l’autre. Le prix moyen est passé de 1,18 $/litre en 2015 à 1,09 $ en 2016, et cela a eu une conséquence majeure : il ne s’est jamais vendu autant d’essence au Québec que l’année dernière !

La croissance des ventes d’essence, selon Statistique Canada, a été record : plus 13 % par rapport à 2015. Pour 2017, les prix devraient légèrement remonter – mais rien de significatif ne semble se profiler pour les mois à venir. Pas de changement de cap dans notre consommation d’essence.

Alors que chaque matin on parle du prix de l’essence à la radio dans les bulletins de circulation, que des mouvements d’opposition aux pipelines et à l’exploration pétrolière se font entendre sur de multiples tribunes, les consommateurs votent avec leurs roues. Plus larges, plus grosses, aussi souvent dans les stations-service.

C’est le grand paradoxe du pétrole : personne ne semble en vouloir, mais tout le monde en achète.

Si toute l’énergie mise pour discuter du prix de l’essence et du pétrole était mise pour simplement repenser nos modes de transport, tout le Québec avancerait.

Davantage de petits véhicules, de transport en commun, de transport actif, de covoiturage, de trains : les solutions sont là. Elles coûtent globalement moins cher et feraient diminuer notre pollution. Souhaitons qu’en 2017, nous ayons le courage de parler moins, et d’agir plus.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.