COVID-19 Chronique

L’Amérique m’inquiète 

L’humanité est pétrifiée dans l’attente. Les capitales ont des airs de villes fantômes. Les écoles sont vides, les frontières, scellées, les avions, cloués au sol.

Mais rien n’empêchera Brady de faire le party.

« Si j’attrape le corona, j’attrape le corona. Au bout du compte, je ne le laisserai pas me priver de faire la fête », balbutie Brady Sluder, torse nu, au micro d’un vox pop aussi surréaliste qu’embarrassant. 

Ça se passait il y a trois jours, sur une plage de Miami bondée pour la relâche printanière – le fameux spring break, qui pousse de jeunes Américains à se réunir par milliers pour une semaine de débauche en Floride. 

Déjà, en temps normal, ce spectacle n’est pas très glorieux. En temps de pandémie, c’est plus qu’irresponsable, c’est carrément criminel.

Interrogés les uns après les autres par l’agence Reuters, les jeunes semblent animés par un seul sentiment d’urgence : celui de se soûler un bon coup, le plus vite possible, avant que tous les bars de Floride ne ferment leurs portes. 

Au diable le confinement. Au diable le coronavirus. 

Incroyablement, le gouverneur de la Floride, Ron DeSantis, a résisté à ceux qui le suppliaient d’ordonner la fermeture des plages de l’État. La très populaire Clearwater Beach accueille toujours des milliers d’insouciants. Elle fermera… lundi, après un ultime week-end à faire la foire. 

Que disait le bon docteur Horacio Arruda, déjà, à propos des « échanges de produits biologiques » ?

Ah oui : « C’est peut-être le moment de [les] reporter. »

Malheureusement, sa voix ne semble pas porter jusqu’en Floride. 

Ailleurs, d’autres États hésitent encore à ordonner le confinement. Là-bas, les municipalités et les commissions scolaires sont forcées de prendre elles-mêmes les choses en main (métaphoriquement) pour protéger leurs concitoyens. 

Ça risque d’être trop peu, trop tard. 

Barricadés dans nos maisons, nous sommes condamnés à assister à cette folie, impuissants. Condamnés à être les voisins d’une bombe à retardement. 

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Deux millions de morts. 

La pandémie pourrait faire, dans le pire des scénarios, 2,2 millions de morts aux États-Unis, selon une modélisation créée par l’épidémiologiste britannique Neil Ferguson, sommité mondiale dans le domaine. 

Son scénario le plus optimiste ? Un million de morts. 

Pas de quoi trouver grand réconfort. 

La réponse tardive des autorités américaines inquiète au plus haut point les infectiologues de ce pays – tout comme ceux du Canada. Impossible de savoir combien d’Américains sont déjà infectés. On croit néanmoins que les États-Unis, avec huit jours de retard, suivent la même trajectoire que l’Italie.

La courbe ne s’aplatit pas. 

Elle grimpe de façon exponentielle. 

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Donald Trump était déjà une catastrophe. 

En trois ans à la Maison-Blanche, il a fait mille fois la preuve de son ignorance, de sa rancœur, de son impulsivité, de son narcissisme et de sa démagogie. 

Et c’est cet homme, sans conteste le pire président de l’histoire des États-Unis, qui doit gérer ce qui s’annonce être la pire crise de ce siècle. Ça donne des frissons. 

Parce que si Trump était déjà une catastrophe en temps normal, qu’est-ce que ce sera en temps de pandémie ? 

Sa gestion de la crise, jusqu’à présent, ne laisse rien présager de bon. Pendant des semaines, il a tout fait pour balayer la menace sous le tapis. Le coronavirus disparaîtrait « comme par miracle », assurait-il. 

Pendant des semaines, il a nié la réalité. Son administration avait le « contrôle » de la situation, mentait-il. Il s’est attribué un 10, la note parfaite, pour sa gestion de la crise. Évidemment. 

Donald Trump a comparé la COVID-19 à une grippe. Il s’est mis en colère contre les scientifiques qui tentaient, dès le mois de février, de l’alerter du danger. Il a accusé les démocrates d’instrumentaliser le virus pour lui nuire. Tout cela n’était qu’un canular, rageait-il. 

Depuis, son ton a changé. Il s’est assombri. 

Soudain, le président semble avoir été frappé par la réalité. Mais plutôt que de l’admettre, il a tenté de faire avaler aux Américains qu’il avait « eu le sentiment que c’était une pandémie bien avant que cela ait été appelé une pandémie ».

Avouons-le, la désinvolture avec laquelle ce président peut dire exactement le contraire de ce qu’il affirmait quelques jours plus tôt est impressionnante. 

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Dans ses négociations avec Washington, cette semaine, Ottawa a sans doute manœuvré en douceur pour obtenir la fermeture de la frontière aux voyageurs des deux pays… sans humilier l’irascible président. 

Les conséquences d’une colère trumpienne auraient été catastrophiques pour le Canada. Il fallait ménager sa susceptibilité pour éviter qu’il ne coupe l’approvisionnement en nourriture et en biens essentiels. 

Mais il fallait aussi fermer la frontière aux voyageurs américains. Absolument. Parce que c’est de plus en plus clair : bientôt, le principal foyer d’infection se trouvera aux États-Unis. 

Jusqu’ici, les autorités américaines ont testé 10 fois moins de gens, par habitant, que les autorités canadiennes. Ces tests sont pourtant cruciaux pour maîtriser la pandémie. « C’est un échec. Admettons-le », a laissé tomber l’éminent scientifique Anthony Fauci, devant les membres du Congrès. 

Directeur de l’Institut national de l’allergie et des maladies infectieuses, le Dr Fauci est aux États-Unis ce que le Dr Arruda est au Québec : un héros national en période de crise. Pour une partie des Américains, à tout le moins. 

L’autre partie n’y croit pas encore, ou si peu. 

À l’aube de la pandémie, la nation américaine est profondément divisée, comme toujours. Elle s’entredéchire, malgré l’urgence de s’unir (toujours métaphoriquement) devant la menace. 

C’est en temps de crise qu’on reconnaît les hommes et les femmes ayant l’étoffe des leaders, ceux qui peuvent mobiliser un peuple autour d’une cause, en se montrant honnête, mais rassurant. C’est ce que fait si bien François Legault, au Québec, depuis le début de la pandémie. 

C’est ce dont Donald Trump est foncièrement – et tragiquement – incapable. 

L'amour au temps du coronavirus : suite et fin 

Le 17 mars, j’ai relayé, en chronique, le cri du cœur de Lorraine Moreau. Son mari Alain Champagne, en phase terminale de cancer, semblait condamné à mourir seul, à l’étage des soins palliatifs d’un hôpital de Montréal. 

Le soir même de la publication, Alain a téléphoné à sa femme. L’hôpital avait revu ses consignes. Lorraine a pu reprendre ses visites, malgré la pandémie. 

Alain Champagne est mort vendredi à 12 h 55. Lorraine était à son côté. Ses quatre enfants aussi, ou presque : ils ont pu être là, avec leur père… par vidéoconférence. 

« Dans un dernier effort de semi-conscience, papa a réagi à ma mère avec ses grands yeux pleins d’amour. Un GRAND moment. Nous n’oublierons jamais à quel point son amour pour elle l’aura défini, lui, jusqu’au bout », m’a écrit leur fils, Alexandre Champagne, avant de conclure : 

« C’est beau l’amour quand même, même au temps du coronavirus… »

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