Une histoire de Montréal tient compte des dimensions démographiques, économiques, spatiales, sociales, culturelles et politiques de l’histoire de Montréal pour en dresser le portrait le plus complet possible. Paul-André Linteau, professeur à l’Université du Québec à Montréal, est codirecteur du Laboratoire d’histoire et de patrimoine de Montréal.

Champlain rêvait d’installer un poste de traite permanent à Montréal, mais il meurt avant que son projet puisse se concrétiser. En 1642, c’est plutôt une colonie missionnaire, portée par un élan mystique, qui s’y implante.

Les débuts sont difficiles et l’avenir incertain, mais les Montréalistes – comme on les appelle alors – tiennent bon et l’établissement prend peu à peu racine. Une ville naît le long du Saint-Laurent, qui ne correspond pas tout à fait au rêve initial de ses fondateurs.

Pour comprendre le contexte de la fondation de Montréal, il faut se replacer dans la France des années 1630. Dans la foulée de la Réforme catholique, un mouvement de renouveau religieux, fait d’exaltation mystique et d’un désir d’étendre la foi catholique, touche alors une partie de l’élite française, aussi bien dans la noblesse que dans la bourgeoisie. Il donne naissance à une foule d’œuvres nouvelles : congrégations religieuses, organismes de charité, missions. Une société secrète, la Compagnie du Saint-Sacrement, canalise une partie de l’énergie de ces dévots et rassemble de nombreux personnages influents du royaume. C’est aussi l’époque où les catholiques français découvrent les missions du Canada grâce, en particulier, aux Relations que publient les jésuites depuis 1633.

C’est dans ce milieu qu’évolue le véritable père du projet de Montréal, Jérôme Le Royer de La Dauversière, percepteur d’impôt à La Flèche. 

Fervent catholique, fondateur de diverses œuvres religieuses et charitables dans sa ville, il est membre de la Compagnie du Saint-Sacrement. Vers 1635, il a pour la première fois l’idée de fonder un établissement missionnaire à Montréal. Son projet se précise à compter de 1639 alors qu’il rencontre à Paris le prêtre Jean-Jacques Olier, futur fondateur des sulpiciens, qui a en tête une idée semblable. Il y associe aussi Pierre Chevrier, baron de Fancamp, qui met une partie de sa fortune au service de la cause. Tous trois réussissent à intéresser à leur projet des personnes riches et influentes, dont le supérieur de la Compagnie du Saint-Sacrement, Gaston de Renty. Au cours de cette période de gestation, des jésuites jouent un rôle d’intermédiaires incontournables.

Les promoteurs du projet mettent sur pied la Société de Notre-Dame de Montréal pour la conversion des sauvages de la Nouvelle-France, créée officiellement au début de 1642 mais active auparavant. Ils ont pour objectif d’établir à Montréal une colonie missionnaire où des Amérindiens convertis au catholicisme et des Français vivraient côte à côte en pratiquant l’agriculture et en viendraient à former un peuple nouveau. Le commerce des fourrures, qui est encore la principale raison d’être du Canada, ne les intéresse pas. Il s’agit d’une œuvre essentiellement religieuse.

Les dirigeants de cette société parviennent à recueillir des sommes importantes qui devraient permettre de pourvoir à tous les besoins initiaux de leur colonie et de ses habitants.

Ils obtiennent de la Compagnie de la Nouvelle-France (aussi appelée Compagnie des Cent-Associés) la seigneurie de l’île de Montréal, précédemment concédée illégalement à Jean de Lauson. Il leur faut trouver un chef pour prendre la tête de l’établissement.

Ils ont la main heureuse en recrutant Paul de Chomedey de Maisonneuve, un gentilhomme qui a les qualités requises. Ils s’adjoignent aussi Jeanne Mance, qui a elle-même le projet de fonder un hôpital à Montréal avec l’appui financier d’une riche bienfaitrice, madame de Bullion ; Mance deviendra l’économe de la nouvelle colonie. Très croyants, tous deux célibataires, Maisonneuve et Mance se consacreront corps et âme au projet religieux de Montréal.

L’organisation recrute aussi des engagés, principalement des artisans, qui ont un contrat d’une durée de trois à cinq ans. Ce sont surtout de jeunes adultes célibataires embauchés afin de travailler à plein temps pour la société et d’accomplir les tâches qu’elle leur confie. On ne connaît pas leurs motivations. On peut penser que, dans le climat religieux de l’époque, certains partagent l’idéal missionnaire, mais il est probable que la plupart y voient simplement un moyen de gagner leur vie. Le défi, pour les promoteurs, sera de les convaincre de rester dans la colonie une fois leur contrat terminé.

La Compagnie de la Nouvelle-France accorde à la Société de Notre-Dame une grande autonomie pour son établissement montréalais. Celle-ci nomme elle-même le gouverneur, Maisonneuve, qui dispose de pouvoirs à la fois militaires et civils, notamment en matière judiciaire. Elle peut importer librement au Canada les produits dont elle a besoin et disposera à cet effet d’un entrepôt à Québec.

En 1641, les conditions sont donc réunies pour que s’organise l’expédition qui ira fonder une colonie missionnaire à Montréal. À qui en attribuer le mérite ?

Pendant longtemps, les Montréalais ont désigné Maisonneuve comme le fondateur de leur ville. Depuis quelques décennies, un mouvement d’opinion a exigé qu’on reconnaisse le rôle particulier de Jeanne Mance en la déclarant cofondatrice. Cela laisse dans l’ombre Le Royer qui, sans avoir mis les pieds en Amérique, n’en est pas moins l’âme dirigeante du projet, de même qu’Olier et Chevrier, deux autres de ses piliers.

En outre, malgré les qualités de ces cinq meneurs, le projet montréalais n’aurait pas pu se réaliser sans l’appui politique et financier de personnes influentes en France, dont de Bullion et de Renty, et sans le concours des quelques dizaines de pionniers qui participent à l’aventure. Attribuer le titre de fondateur à seulement une ou deux personnes serait donc trompeur. La fondation de Montréal est le résultat d’une aventure collective, d’un projet missionnaire, mûri et élaboré en France et concrétisé sur les rives du Saint-Laurent.