Consommation

Le prix de nos désirs

Vous vous souvenez des tablettes de chocolat à 25 ¢ ? Nous sommes dans les années 70, le père de Justin Trudeau est premier ministre du Canada et la Coupe Stanley est pratiquement stationnée à Montréal.

Aujourd’hui, vous payez 1,50 $ pour la même tablette de chocolat, soit 500 % de plus. Voilà un indice que le coût de la vie bondit. C’est pourquoi vous tirez le diable par la queue et n’arrivez pas à mettre un sou de côté, croyez-vous ?

Sauf qu’à l’époque, le revenu moyen est de 10 000 $, il faut payer 12 % d’intérêts sur un emprunt pour acheter une maison et les familles se partagent une seule télévision.

LA BOUFFE, MOINS LOURDE SUR LE BUDGET

Tout coûte-t-il plus cher aujourd’hui ? Pas nécessairement. Comme les revenus sont beaucoup plus élevés, certaines dépenses grugent une moins grande part du budget des familles. La nourriture, notamment.

Eh oui, même si les consommateurs se plaignent du coût élevé des aliments, le panier d’épicerie accapare une moins grande portion des dépenses d’un ménage.

Vous avez 40 ans ? Quand vous étiez tout-petit, vos parents dépensaient plus du quart de leur revenu pour nourrir leur famille. En 1960, c’était plus du tiers ! Aujourd’hui, vous y consacrez 15 %, si vous êtes dans la moyenne.

MULTIPLICATION DES BESOINS

Les familles ont souvent l’impression de ne pas avoir assez d’argent parce que leurs besoins ont littéralement explosé ! En fait, les produits et services qui sont maintenant considérés comme « essentiels » se sont multipliés. Et les consommateurs ont de plus en plus recours au crédit pour combler ces besoins.

« Au-delà des besoins de base, de nouveaux besoins discrétionnaires sont apparus », explique le sociologue Simon Langlois, professeur à l’Université Laval, qui étudie les décisions de consommation.

« Par exemple, les dépenses pour les communications et les nouvelles technologies ont beaucoup augmenté. Le cellulaire est devenu un bien de consommation courante qui entraîne des coûts supplémentaires. »

— Simon Langlois, professeur à l’Université Laval

Une deuxième voiture ? Une deuxième ou une troisième télé ? Un massage pour un dos endolori ? Un voyage dans le Sud ? De tels « luxes » étaient auparavant réservés aux mieux nantis, alors qu’ils sont la norme pour la classe moyenne d’aujourd’hui.

PLUS DE CONFORT

Entre 1969 et 2004, le niveau de vie moyen au Québec a augmenté de 51 %, selon une étude menée par le sociologue, qui tient compte de la diminution de la taille des ménages. Les explications à cette évolution : « Moins de bouches à nourrir, avènement du double revenu, reprise à la hausse des revenus de travail et des salaires dans les années 90, mais aussi plus d’impôts à payer », précise Simon Langlois.

« La participation accrue des femmes au marché du travail a eu un impact considérable sur la structure des besoins des ménages, impliquant des dépenses nouvelles : frais de garde des jeunes enfants, achat d’une deuxième voiture, achats de vêtements, repas au restaurant le midi, achat de nourriture déjà préparée, etc. »

Alors, sommes-nous vraiment en meilleure position financière, au bout du compte ?

Il semble que oui, dans toutes les tranches de revenu et pour tous les types de familles. Ainsi, les familles biparentales ont connu une hausse de 33 % de leurs revenus après impôts et transferts entre 1976 et 2011, selon une étude publiée l’an dernier par Luc Godbout et Suzie St-Cerny, de l’Université de Sherbrooke, qui comparait les revenus des ménages de même taille. 

L’augmentation atteint 61 % pour les familles monoparentales, 26 % pour les personnes âgées, 25 % pour les personnes seules et 4 % pour les couples sans enfants. On a évidemment tenu compte des effets de l’inflation pour arriver à ces conclusions.

Une étude de BMO arrive à un constat similaire : les jeunes de la génération Y, nés entre 1981 et 2001, ont de meilleurs revenus que leurs parents au même âge, et leur pouvoir d’achat est supérieur de 2 %. Leur valeur nette est aussi plus grande, mais ils ont plus de dettes.

La croissance des revenus est-elle suffisante pour couvrir les dépenses d’aujourd’hui, qui semblent se multiplier ? Il faudrait d’abord s’entendre sur ce que sont les dépenses « essentielles ».

« L’accès à internet, par exemple, peut presque être considéré comme essentiel, puisque les banques réduisent les services en succursale pour inciter les clients à faire leurs transactions en ligne », explique l’économiste François Delorme, de l’Université de Sherbrooke, qui s’intéresse à la classe moyenne. On peut considérer une voiture comme un besoin essentiel, mais quelle voiture est nécessaire ?

« Les ventes de VUS augmentent de façon exponentielle, même si les familles ont moins d’enfants et que le prix de l’essence augmente. C’est totalement irrationnel. Même chose pour les maisons, qui sont de plus en plus grandes. Mais de combien d’espace a-t-on réellement besoin ? »

— François Delorme, économiste

« JAMAIS ASSEZ »

« Les consommateurs se font offrir un plus grand éventail de produits, ajoute Simon Langlois. Des appareils électroniques qui n’existaient pas il y a quelques années sont devenus un poste de dépenses important. »

Le problème, selon François Delorme, c’est qu’on n’en a « jamais assez ».

« Notre système économique est basé sur la consommation, et notre mesure du bonheur dépend de ce qu’on consomme », déplore-t-il. Et nous sommes fortement influencés par notre entourage à ce sujet.

« L’insatisfaction ou le sentiment de privation, de frustration augmentent parce que les désirs et les aspirations croissent plus vite que nos ressources financières », explique Simon Langlois, citant l’économiste américain Richard Easterlin. 

Bref, si le voisin nous montre son nouveau gadget qu’on n’a pas les moyens de se payer, on aura l’impression d’être plus pauvres. Même si, en réalité, nous sommes plus riches.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.