Opinion : Contrats de services des organismes publics

Faudra-t-il un autre viaduc de la Concorde ?

Alors que le gouvernement s’apprête à modifier les règles régissant certains contrats de services des organismes publics, nous croyons important d’alerter les Québécois des dangers que présente le projet de règlement. Celui-ci permettrait notamment au ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports et à la Société québécoise des infrastructures d’accorder des contrats de services professionnels, dès septembre, sur la base de formules favorisant le plus bas soumissionnaire.

En termes simples, le gouvernement souhaite privilégier le prix le plus bas au détriment de la qualité.

Or, l’attribution de contrats sur le plus bas prix ne devrait jamais être utilisée pour les services professionnels d’architecture et de génie-conseil qui visent à déterminer la meilleure solution pour chaque projet.

Seules des prestations de haute qualité permettent d’y parvenir. Cela implique de mobiliser les meilleures ressources disponibles ; pas les moins chères.

À cet égard, il importe de rappeler que le mode actuel de sélection basé sur la qualité pour les services professionnels d’architecture et d’ingénierie avait été adopté à la suite des conclusions du rapport sur l’effondrement du viaduc de la Concorde, survenu en septembre 2006. Faudra-t-il une autre tragédie semblable pour nous rappeler que la sécurité des infrastructures pour la population et l’environnement ne peut faire l’objet de compromis ?

Au-delà de la sécurité, le projet de règlement soulève d’autres enjeux majeurs. En tentant de faire des économies lors de la phase de conception d’un ouvrage – étape qui représente à peine 1 à 2 % des coûts sur le cycle de vie –, le gouvernement fera en sorte d’augmenter à coup sûr le coût global d’un ouvrage qui inclut la conception, la construction, l’exploitation et l’entretien. La facture supplémentaire sera nécessairement assumée par les contribuables dans le cas des infrastructures publiques. C’est tout simplement inacceptable, quel que soit l’angle sous lequel on considère la question.

Un message contradictoire

Le projet de règlement va à l’encontre des principes énoncés par le Conseil du trésor dans les « Balises à l’égard des exigences et des critères contractuels en services professionnels liés à la construction », publiées tout récemment, et devant permettre « la diversification des sources d’approvisionnement et des solutions innovantes ».

En instaurant cette règle, le gouvernement fait fi de sa récente annonce à l’effet d’élaborer une stratégie en architecture basée notamment sur des « pratiques exemplaires dans les projets menés par l’État ».

Tout aussi incohérente, la Stratégie gouvernementale de développement durable 2015-2020 prévoit l’intégration graduelle du coût total de possession des ouvrages dans les processus d’appels d’offres des ministères et organismes pour certaines catégories de biens et services d’ici 2020. Rappelons que l’État québécois vient de s’engager dans le cadre du plan d’action de la politique culturelle à se doter d’une Stratégie gouvernementale en architecture. Parmi les principes énoncés, la stimulation de l’excellence, de la créativité et de l’innovation en architecture et en design urbain ainsi que l’adoption de pratiques exemplaires dans les projets menés par l’État.

Ne pas répéter les erreurs du passé

Il est incompréhensible que le gouvernement propose un projet de règlement qui reprend les erreurs du mode d’attribution des contrats qui était imposé dans le monde municipal en proposant des options qui sont pires que celles dénoncées par la commission Charbonneau.

Ne répétons pas ces erreurs ! Dans l’attente de la conclusion de projets-pilotes et de la tenue de consultations publiques, le gouvernement doit maintenir la sélection basée sur la qualité comme principal mode d’attribution de contrats publics pour les services professionnels d’architecture et d’ingénierie. Il en va de notre intérêt collectif comme société.

* Cosignataires de la lettre

Marie Lapointe, PDG d'AluQuébec ; Clément Demers, architecte, urbaniste et gestionnaire de projets ; Stephan Doré, président de l’Association des estimateurs et des économistes de la construction du Québec ; Caroline Amireault, avocate, directrice générale de l’Association québécoise des entrepreneurs en infrastructure ; Jean Lacroix, PDG de l’Association québécoise pour la maîtrise de l’énergie et PDG de Réseau Environnement ; Catherine Lavoie, PDG du Centre d’expertise et de recherche en infrastructures urbaines ; Roger Légaré, président et chef de la direction du Conseil des infrastructures ; Yves-Thomas Dorval, PDG du Conseil du patronat du Québec ; Eric Côte, vice-président exécutif de la Corporation des entrepreneurs généraux du Québec ; Denis Leclerc, président et chef de la direction d’Écotech Québec ; Sidney Ribaux, directeur général d’Équiterre ; Karel Mayrand, directeur général pour le Québec et l’Atlantique de la Fondation David Suzuki ; Donald C. Riendeau, directeur général et fondateur de l’Institut de la confiance dans les organisations ; Martin Houle, architecte, MIRAC, directeur fondateur de Kollectif ; Gérard Mounier, conseiller stratégique, responsable du groupe Infrastructure, Lavery Avocats ; Normand Roy, directeur bâtiment de la Maison du développement durable ; Nathalie Dion, présidente de l’Ordre des architectes du Québec ; Kathy Baig, ing., FIC, MBA, présidente de l’Ordre des ingénieurs du Québec ; Henri-Jean Bonnis, président du conseil d’administration de PMI-MONTRÉAL INC. ; Jean-Pierre Chupin, Ph.D, chaire de recherche sur les concours, École d’architecture, Université de Montréal ; Raphaël Fischler, doyen de la faculté de l’aménagement, Université de Montréal ; Jacques White, directeur et professeur titulaire, École d’architecture, Université Laval ; Christian Savard, directeur général de Vivre en ville ; John Gamble, président et chef de la direction de l'Association des firmes de génie-conseil – Canada

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