États-Unis

Les médias doivent-ils ignorer les gazouillis de Trump ?

Il y a une semaine, le New York Times a publié une analyse dévastatrice des relations commerciales internationales de Donald Trump et des conflits d’intérêts qu’elles pourraient susciter par rapport à ses fonctions de président des États-Unis.

Le lendemain matin, Trump a publié un gazouillis intempestif où il affirmait avoir remporté le vote populaire parce que des « millions de personnes » avaient « voté illégalement ». Plusieurs analystes ont avancé qu’il s’agissait d’une tactique pour faire oublier le dossier du New York Times.

Plus généralement, les médias se demandent de plus en plus s’ils doivent faire état de chaque gazouillis de Trump comme s’il s’agissait d’une prise de position présidentielle, ou s’il vaudrait mieux les ignorer. Le point en six questions.

Pourquoi Trump gazouille-t-il avec autant d’abandon ?

« Ça reflète son caractère », explique Karine Prémont, politologue de l’Université de Sherbrooke et spécialiste de la politique américaine. « Il est totalement guidé par ses émotions. C’est pour ça que sa présidence inquiète plusieurs personnes. » Samuel Popkin, politologue de l’Université de Californie à San Diego, qui a élaboré il y a 25 ans le concept de « rationalité à faible information » pour expliquer les choix en apparence contradictoires des électeurs moins instruits, particulièrement les Blancs pauvres et de la classe moyenne, pense qu’il s’agit d’une des sources de son attrait pour les gens qui ont voté pour lui. « Son impulsivité est pour certains un gage d’authenticité », dit M. Popkin.

Si Trump veut enterrer les nouvelles embarrassantes avec ses gazouillis intempestifs, faut-il les ignorer ?

C’est ce qu’a décrété l’hebdomadaire américain de gauche The Nation. Un influent journaliste qui a publié plusieurs livres critiques de la politique étrangère de George W. Bush, Fred Kaplan, a lancé le même appel aux médias… sur Twitter. « Ça place les médias dans l’arène politique, dit Samuel Popkin. On voit le même problème avec les négationnistes climatiques ou les antivaccins. Si on les ignore, on passe sous silence les opinions intellectuelles d’une portion non négligeable de la population. Si on les prend au sérieux, on donne de la crédibilité à des fabulations ou, dans le cas de Trump, à des idées lancées sans réflexion apparente. »

Y a-t-il des comparaisons possibles avec d’autres présidents ?

« Obama avait sûrement plusieurs opinions sur un même sujet, qu’il partageait avec ses proches conseillers, dit Mme Prémont. Mais il ne les partageait pas avec la population entière intempestivement sur Twitter. Ça permettait à la Maison-Blanche de formater le message. Avant, la technologie n’existait pas pour faire ça. » Charles-Philippe David, fondateur de la chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM, se souvient toutefois que Ronald Reagan a parfois dit des énormités. En particulier, il cite une conférence de presse en 1982 où Reagan avait affirmé que les missiles lancés par un sous-marin pouvaient être rappelés s’il s’agissait d’une fausse alerte. Le candidat démocrate à la présidentielle de 1984, Walter Mondale, avait fait ses choux gras de cette déclaration.

Le fait pour Trump de gazouiller à propos de tout et de rien, en se contredisant parfois, constitue-t-il une stratégie afin de garder ouvertes toutes ses options ?

« Je suis sûre qu’il n’a pas de stratégie, c’est un homme trop impulsif pour ça », dit Karine Prémont. Samuel Popkin pense qu’il s’agit d’une stratégie inconsciente de l’homme d’affaires. « C’est typique du monde des affaires, il faut sans cesse changer d’avis, être flexible, assurer face à la concurrence, dit-il. Les gens qui concluent des ententes dans l’immobilier savent que demain est un autre jour, sans que ce soit une stratégie assumée et réfléchie. »

Ces contradictions fréquentes signifient-elles un nouveau tournant dans la « post-vérité » postmoderniste ?

Plusieurs observateurs de la campagne et des nombreuses fabulations et contradictions dans le discours de Donald Trump ont souligné que cette tendance existe depuis longtemps dans la vie politique américaine. On a cité à ce propos un célèbre essai du politologue Richard Hofstadter, The Paranoid Style in American Politics, paru en 1964. « Hofstadter considérait que la paranoïa est une émotion puissante et incohérente, découlant d’une méfiance envers les élites, typique du populisme américain depuis le XIXe siècle », dit David Brown, historien de l’Elizabethtown College, en Pennsylvanie, qui a publié en 2006 une biographie du politologue. « À des moments charnières de la vie politique du pays, les émotions à fleur de peau ont joué un rôle important, qui ont donné l’impression qu’il n’y avait plus de rationalité chez les électeurs. Ç’a a été interprété par la gauche comme une intolérance – les “déplorables” dont parlait Hillary Clinton –, et par la droite comme une incompréhension de l’économie et du capitalisme de la part de gens peu sophistiqués. »

Pourquoi les partisans de Trump acceptent-ils qu’il se contredise ainsi ?

« Les gens qui sont abonnés à Twitter sont surtout des journalistes, dit Mme Prémont. Les partisans de Trump ne le suivent pas sur Twitter. Et si les journalistes des médias traditionnels soulignent les opinions contradictoires qu’il exprime sur Twitter, ses partisans ne les croient pas. Fox et Breitbart ne soulignent pas souvent ces contradictions, contrairement à CNN. »

États-Unis

Trump risque une crise avec la Chine… et se défend sur Twitter

Donald Trump a pris le risque hier d’une crise majeure avec la Chine en parlant au téléphone avec la présidente de Taïwan Tsai Ing-wen, une rupture spectaculaire avec 40 ans de tradition diplomatique avec Pékin et Taipei. Face aux critiques soulevées par sa discussion avec la dirigeante taïwanaise, M. Trump a tweeté dans la soirée : « La présidente de Taïwan M’A TÉLÉPHONÉ aujourd’hui pour me féliciter de ma victoire à la présidence. Merci ! » Avant d’ajouter un peu plus tard dans un autre tweet : « Intéressant le fait que les USA vendent des milliards de dollars d’équipement militaire à Taïwan mais [que] je ne devrais pas accepter un appel de félicitations. » Il est très inhabituel pour un président ou président désigné américain de se justifier de cette façon, mais M. Trump a montré tout au long de sa campagne qu’il avait une propension aux réactions épidermiques sur Twitter. Christopher Hill, ex-secrétaire d’État adjoint pour l’Asie orientale et le Pacifique du républicain George W. Bush, a estimé sur CNN que cet entretien était « une énorme erreur », déplorant la « tendance à l’improvisation » de la future administration Trump. 

— Agence France-Presse

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