Quels lendemains pour le mouvement #MeToo ?

Au cours des derniers mois, les victimes ont parlé et des personnalités publiques sont tombées, en marge des grandes institutions féministes restées plutôt discrètes pendant la secousse. Que restera-t-il de cette saison des dénonciations ?

« Les astres étaient parfaitement alignés et cette fois-ci, j’ai le sentiment qu’il y aura des traces plus permanentes », lance Rachel Chagnon, professeure au département des sciences juridiques de l’UQAM.

En 2014, rappelle-t-elle, après la vague des femmes ayant révélé massivement les unes après les autres avoir été violées et n’en avoir rien dit, « les choses sont plutôt retombées à plat ».

L’espoir, c’est qu’il y ait cette fois des changements plus durables d’un point de vue policier et juridique, évoque Mme Chagnon.

C’est aussi ce qu’appelle de tous ses vœux Chantal Maillé, professeure à l’Institut Simone de Beauvoir de l’Université Concordia.

Car ce qu’ont parfaitement illustré les sorties dans les médias de victimes de Gilbert Rozon, d’Éric Salvail et des autres, c’est le manque de confiance des victimes dans les voies officielles et « l’incapacité de la justice à endiguer les violences sexuelles et à pénaliser les agresseurs », note Mme Maillé.

Mais justement, les astres étant parfaitement alignés, au moment même où les femmes dénonçaient dans les journaux des figures très en vue, d’autres enquêtes journalistiques obligeaient en parallèle les policiers à refaire leurs devoirs, rappelle Rachel Chagnon.

Il y a quelques semaines, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a en effet admis que 57 % des 2225 dossiers d’agressions sexuelles qu’elle n’a pas eu trop le choix de réviser ont été classés à tort comme étant sans fondement.

Et le problème n’est pas propre au Canada, signale Mme Chagnon.

La Suède vient d’ailleurs d’annoncer qu’elle était en train de modifier sa loi sur le viol pour transférer le fardeau de la preuve du plaignant à l’agresseur présumé, dans une proposition qui exigerait que les personnes obtiennent un consentement explicite avant tout contact sexuel.

« Un avant et un après »

Pour Marilyse Hamelin, auteure de Maternité, la face cachée du sexisme, il y aura un « avant » et un « après » #MoiAussi (#MeToo). « Pour une fois, les femmes ont été entendues et crues. Je pense que plus personne désormais ne peut prétendre à l’anecdote et nier le problème systémique du harcèlement sexuel et des agressions sexuelles. »

« Je crois que beaucoup moins de gens blâmeront les victimes en raison de leur comportement ou de leur habillement. On a mis à mal beaucoup de préjugés cet automne. »

— Marilyse Hamelin, auteure de Maternité, la face cachée du sexisme

Ce que la vague de cet automne a aussi mis en évidence, à son avis, « c’est l’individualisation grandissante de la parole féministe », fait aussi observer Mme Hamelin.

Si les féministes ont été nombreuses à commenter les dénonciations de l’automne, elles l’ont fait chacune de son côté, « à l’extérieur du Conseil du statut de la femme et de la Fédération des femmes du Québec qui se font très discrètes depuis six mois ».

Mme Hamelin espère que cette discrétion est circonstancielle et attribuable au fait que « ces deux organisations sont en reconstruction ».

Des organismes à la croisée des chemins

De fait, après la très médiatique Julie Miville-Dechêne, le Conseil du statut de la femme a brièvement eu pour présidente Eva Ottawa, qui a démissionné, se disant incapable de donner priorité aux dossiers autochtones comme elle le souhaitait.

Lui a succédé en février Me Louise Cordeau, une juriste prudente, soucieuse de ne pas émettre d’opinion sans y avoir réfléchi très à fond (outre cette entrevue qui a fait grand bruit au cours de laquelle elle a ouvert la porte à l’idée de changer le nom de l’organisme).

Du côté de la Fédération des femmes du Québec, l’élection de Gabrielle Bouchard, une femme trans, a créé une onde de choc, « preuve que nous sommes au mieux “tolérées” dans la société mais que l’acceptation n’est pas encore là », dit Gabrielle Bouchard en entrevue avec La Presse.

Mais ce qu’il importe vraiment de souligner, « c’est que la Fédération des femmes du Québec lutte pour sa survie », selon Mme Maillé, évoquant les coupes répétées du gouvernement Couillard.

Les femmes interviewées pour le présent article sont unanimes. Aussi bien le Conseil du statut de la femme que la Fédération des femmes du Québec ont joué un rôle phare au cours des dernières décennies, et il est important qu’ils continuent de le tenir.

« J’ai hâte qu’ils reprennent leur place dans l’écosystème », dit Marilyse Hamelin.

« On a besoin de ces deux organismes. On a besoin d’eux pour porter de grandes revendications, comme la réforme du système juridique. »

— Chantal Maillé, professeure à l’Institut Simone de Beauvoir de l’Université Concordia

Les documents sur la violence sexuelle émanant du Conseil du statut de la femme ou la campagne de la Fédération des femmes du Québec 12 jours contre la violence « témoignent de leur pertinence », enchaîne-t-elle.

En entrevue avec La Presse en décembre, Louise Cordeau, présidente du Conseil du statut de la femme, a assuré avoir bien l’intention d’apporter une contribution importante, à sa façon. « Le Conseil du statut de la femme, qui a notamment un rôle d’information, se retrouvera sur la place publique quand son expertise sera mise en valeur » et pourra nourrir le débat.

De son côté, Gabrielle Bouchard, présidente de la Fédération des femmes du Québec, promet de défendre haut et fort toutes les femmes en priorisant toutes celles qui sont marginalisées et vulnérables.

Mais que ce soit dit. « Je ne me suis pas présentée à la Fédération des femmes du Québec pour défendre un agenda purement trans, pas du tout. »

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