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L'enfer d'une victime d'exploitation sexuelle

Invitée par le consulat des États-Unis, une Américaine ayant vécu sous le joug d’un proxénète a expliqué aux policiers de Montréal les méthodes utilisées par les trafiquants sexuels.

Fragile. Pauvre. Naïve. Mère seule. Jolie. Amy avait tous les attributs recherchés pour tomber dans les griffes d’un proxénète.

Elle a été séquestrée, battue et violée à répétition par plusieurs hommes pendant 12 heures quand elle avait 23 ans.

Après ? Après, elle n’a pas su dire non au proxénète qui en a fait une esclave sexuelle. Elle avait peur. Et s’est sentie responsable de ce qui lui arrivait. Pour ne pas dire coupable.

Son enfer a duré un an avant qu’elle ne parvienne à s’en sortir grâce à l’aide d’un policier et d’une travailleuse sociale qui ont cru à son histoire.

Invitée par le consulat des États-Unis, Amy était de passage plus tôt cette semaine à Montréal pour raconter son histoire et rencontrer des policiers du Service de police de la Ville de Montréal afin de mieux les renseigner sur les méthodes utilisées par les trafiquants sexuels pour exploiter leurs victimes. Parce qu’un jour, elle a réalisé qu’elle n’était pas une « stupide prostituée », ce qu’elle en était venue à croire, mais une victime.

Nous l’avons rencontrée dans sa chambre d’hôtel au centre-ville de Montréal.

Amy est une Américaine de 36 ans, diplômée en droit. Ce n’est pas son vrai prénom. Nous avons accepté de protéger son identité et de voiler son visage pour des raisons de sécurité.

Avez-vous peur ?

Je suis prudente. Hier soir, je suis sortie seule. J’ai magasiné et j’ai mangé au restaurant. Je me suis dit : « C’est super, je suis fière de moi ! »

Quel message souhaitez-vous transmettre aux policiers et aux survivants ?

Aux policiers, je veux donner des exemples de ce que mes trafiquants ont fait pour me manipuler, expliquer ce que j’ai vécu, comment les choses se sont passées. Aux survivants, je n’aime pas raconter mon histoire parce qu’ils sont déjà au courant : ils ont vécu la même chose. On n’a pas besoin de s’asseoir et de raconter nos malheurs. Le plus important, pour moi, est de parler de guérison et d’aspects positifs. Il y a une vie après l’exploitation sexuelle.

Observez-vous des différences entre les États-Unis et le Canada dans le traitement et l’approche des victimes d’agressions sexuelles ?

Les criminels sont les mêmes : ils font la même chose, utilisent les mêmes stratégies, les mêmes tactiques. Mais je crois qu’on peut apprendre de nos expériences réciproques.

Pouvez-vous nous parler de votre expérience ?

Je venais d’avoir ma fille, née prématurément. J’étais seule et j’avais besoin d’argent. Je me suis dit que je pourrais travailler dans un bar comme danseuse le soir et m’occuper de ma fille le jour. Quelque chose qui ne m’aurait jamais traversé l’esprit en temps normal. Mais j’étais désespérée. Danser ne demandait pas d’expérience et me permettait de faire de l’argent, beaucoup d’argent, rapidement. J’ai travaillé un premier soir et j’ai effectivement fait beaucoup d’argent. Je me suis dit : « OK, je ne veux pas faire ça, mais je vais le faire temporairement pour payer mes factures, mettre de l’argent de côté et ensuite, je vais arrêter. » Ça me paraissait la meilleure option.

Mais le deuxième soir, j’ai tout de suite été ciblée par un proxénète. Il était très à l’aise dans cet environnement. Et il a vu que je ne l’étais pas, que j’étais nouvelle, naïve. Il a payé pour que je reste avec lui toute la soirée. C’était un soulagement pour moi parce que je n’avais pas à parler à d’autres clients. Mais il l’a fait intentionnellement pour obtenir des renseignements sur moi.

Que s’est-il passé ensuite ?

Il m’a emmenée dans son bureau qui se trouvait de l’autre côté de la rue pour continuer à discuter. Et c’est là que j’ai été violée et battue pendant 12 heures. C’était un processus de complète déshumanisation. L’homme m’a pratiquement tuée. Il m’a dit : « Tu vas faire ça quand je te dis de faire ça, tu vas venir quand je vais te dire de venir… » Je n’ai pas été capable de refuser, ce n’était pas une option, à cause de ce que je venais de vivre. J’étais comme un robot. Je me suis dit : « Si je lui dis oui, je vais pouvoir partir et retrouver mon bébé. »

Comment avez-vous réussi à regagner votre liberté ?

À force d’essayer et d’essayer de m’enfuir. J’ai finalement pu parler de mon histoire à un détective qui m’a aidée à comprendre que j’étais une victime. Ça a changé ma vie. Je ne serais pas ici sans lui.

Avez-vous un conseil à donner aux parents ?

Mon conseil est de commencer par la base : le consentement. Dire aux enfants dès leur plus jeune âge que leur corps leur appartient et que non, c’est non.

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