Madonna aura 60 ans le 16 août. L’icône a-t-elle le droit de vieillir dans le monde cruel de la pop ? Un dossier d’Émilie Côté.

La « vierge » qui consomme

À ses débuts fulgurants dans le monde de la pop au début des années 80, Madonna clame haut et fort qu’elle se sent vierge (Like a Virgin), qu’elle est pro-choix (Papa Don’t Preach) et qu’elle consomme à une époque où tout est matériel (Material Girl). Madonna incarne la jeunesse libérée et la mode de demain.

La provocante

En 1989, Madonna se montre sous un jour plus sérieux avec l’album Like a Prayer. Dans le clip de la pièce-titre, condamné par le Vatican, un jeune Afro-Américain est arrêté injustement et la Madone embrasse les pieds d’un saint dont la peau est noire. Suit l’album Erotica en 1992. Encore une fois, le clip-titre fait scandale. MTV ne le diffuse que quelques fois en pleine nuit. Madonna y incarne une dominatrice.

La mère spirituelle

Le 14 octobre 1996, Madonna donne naissance à Lourdes Maria Ciccone Leon. Le père, Carlos Leon, est son coach sportif. Deux ans plus tard, la star pop dévoile Ray of Light, un album spirituel sous le signe de la maturité. Madonna révèle au public la forte influence sur sa vie de la kabbale, une pratique juive de tradition ancienne.

La femme engagée

Madonna continue de provoquer, mais de façon politique. Or, 10 jours après l’offensive américaine en Irak, l’artiste s’autocensure et sort une version « allégée » de son clip American Life (où elle ne lance plus de grenade sur le président George W. Bush). Sur la pochette de l’album, sorti en octobre 2002, elle prend les airs du Che Guevara. Un faux pas ? Tout est oublié quelques mois plus tard quand elle embrasse Britney Spears en direct aux MTV Video Music Awards.

L’athlète éternelle

Madonna a 47 ans quand elle largue l’album Confessions on a Dance Floor. Nous sommes en 2005, et la star n’a jamais été aussi en forme. Elle exhibe fièrement ses cuisses et ses fesses taillées au couteau. Les critiques sont unanimes. Madonna est au sommet de son art et plus à l’avant-garde pop que jamais. Sa tournée connaît un succès immense.

la Rebelle de cœur

Après Hard Candy et MDNA, Madonna sort en 2015 l’album Rebel Heart, où elle fait une sorte de bilan de son legs culturel, social et musical. Bitch I’m Madonna, rappelle-t-elle dans son duo avec Nicki Minaj. Les années ont passé, mais Madonna reste la Madonna rebelle qu’elle a toujours été. Or, a-t-elle vraiment besoin de revendiquer son statut d’icône ? C’est le bémol de certaines critiques.

« Madonna est dans la durée », fait valoir Line Grenier, professeure au département de communication de l’Université de Montréal.

Depuis 1983, Madonna a sorti 13 albums à un rythme relativement régulier. Son plus récent, Rebel Heart, date de mars 2015.

Whitney Houston ? Elle n’est plus. Samantha Fox et Debbie Gibson ? Presque oubliées. Cher, Kylie Minogue et Mariah Carey ? Elles reviennent par intermittence.

Madonna s’avère la seule star pop de la décennie 1980 toujours active qui n’a jamais pris de longue pause. Du moins, la plus populaire.

Line Grenier nous renvoie à un chapitre de l’ouvrage Rock On : Women, Ageing and Popular Music. La chercheuse Abigail Gardner y décrit les cinq « options » de carrière pour les artistes pop. Mourir jeune, disparaître de la vie publique, faire un retour après de nombreuses années dans l’ombre (Cyndi Lauper tourne cet été), changer de carrière (comme Mitsou au Québec) et, enfin, continuer d’avoir des succès aux palmarès comme Madonna.

« Or, ce n’est pas encore acquis que ce soit légitime, souligne Line Grenier. Dans l’univers pop, cette durée, le vieillissement, n’est pas nécessairement vue comme quelque chose de positif. On l’associe à être “encore” bonne, à s’accrocher. »

« On vit dans un monde où vieillir, c’est décliner. »

— Line Grenier, professeure au département de communication de l’Université de Montréal

Or, le « encore » peut être positif, souligne Line Grenier.

« Sexe, pop et commerce »

Madonna assume qu’elle est une femme d’affaires. « Madonna a toujours eu une façon de négocier sexe, pop et commerce. Mais à travers les années, il y a eu des stratégies différentes », note Line Grenier.

Quand Céline Dion a célébré ses 50 ans, on a comparé sa longévité à celle de Madonna. « Mais Madonna et Céline Dion n’opèrent pas sur les mêmes scènes. Elles s’inscrivent dans la pop, mais pas dans la même pop. »

Céline Dion a peu joué la carte de la sexualité et de la provocation par rapport à Madonna. « Céline Dion, il a fallu qu’elle vieillisse. Et son vieillissement a bonifié son auditoire. »

Le défi était autre pour Madonna : « passer de la jeune fille qui explore sa sexualité à la mère jusqu’à la femme plus âgée qui garde une tension entre le fait de défier les stéréotypes des femmes qui vieillissent dans la pop et de passer pour jeune ».

Peu de femmes comme Madonna affichent une sexualité post-ménopause, souligne Line Grenier. Cela implique « des attentes et des normes », et d’être « appropriée pour son âge » (« age appropriate »). En d’autres mots, les critiques sont un peu inévitables.

Madonna est née avec les clips, a toujours soigné son image et a beaucoup joué la carte de la jeunesse. Cela donne en quelque sorte des munitions aux gens qui jugent son vieillissement. D’un autre côté, qu’elle dure la rapproche encore plus de certains publics. Madonna sera toujours une icône dans la communauté gaie.

Heureusement, le culte de la jeunesse s’effrite. Normal, puisque la musique pop n’a même pas 75 ans.

Même le hip-hop n’est plus exclusif à la jeunesse.

Des rappeurs, comme Madonna, font partie de la première génération de stars pop de l’ère MTV dont « la musique se déclinait aussi avec du visuel ». Ils tracent la voie pour les générations qui suivent.

Le fruit de nombreux efforts

Dans le cas de Céline Dion comme dans celui de Madonna, il faut saluer « l’endurance » qu’exige une telle longévité, souligne Line Grenier. « Quand j’utilise le mot endurance, j’entends de continuer de faire des liens [entre le passé et] ce qui s’en vient tout en restant pertinente. C’est tout un travail de faire ces liens-là. »

Un travail de création, de marketing, d’image…

Et dans le cas de Madonna, c’est aussi un travail physique puisque son corps ne fait pas ses 60 ans. « Ce n’est pas magique. C’est du travail. »

Avoir du flair, c’est une chose. Or, « c’est sans garantie ». Line Grenier rappelle aussi que les humains sont inégaux face au vieillissement. « Vieillir en bonne santé, ce n’est pas le cas de tout le monde. Ce n’est pas juste une question de volonté individuelle. »

« Et vieillir de façon publique, c’est encore plus difficile. »

Line Grenier souligne que ses propos sont le fruit de travaux réalisés dans le cadre du partenariat ACT (Ageing + Communication + Technology) financé par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

« Vieillir est un péché »

Quand Madonna a reçu le prix hommage aux Billboard Music Awards en 2016, elle a fait un vibrant plaidoyer pour plus d’égalités entre les hommes et les femmes dans la musique pop, notamment par rapport au vieillissement. Pour les stars féminines, « vieillir est un péché », a dénoncé Madonna. « Je pense que la chose la plus controversée que j’ai faite est de rester dans les parages », a-t-elle déclaré.