Chronique

Payants, ces lieux gratuits !

Premières institutions de l’économie du partage, les bibliothèques jouent un rôle économique important.

Comment ? En encourageant l’éducation, gratuitement.

Ce ne sont pas elles qui le disent, c’est l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) : une société qui investit dans sa littératie – la maîtrise de connaissances de base par la population, comme la lecture, mais aussi le calcul – investit directement dans son produit intérieur brut (PIB). Pour chaque augmentation de 1 % du taux de littératie, on augmente par 1,5 % le PIB par habitant. Et les bibliothèques, au même titre que les écoles, participent directement à cet exercice.

Pas étonnant que Louis Vachon, président et chef de la direction de la Banque Nationale, ait accepté de prêter sa voix à une vaste campagne publicitaire lancée hier par le réseau des bibliothèques pour faire reconnaître leur importance, le rôle moteur qu’elles jouent à de multiples égards. « Ce sont des leviers de développement économique et social », dit-il. « Lieu d’émerveillement et de découverte », ajoute Martin Carrier, chef du studio de jeux de Warner Brothers à Montréal.

Au-delà du lieu pour lire, pour écouter de la musique, pour consulter des tas de journaux gratuitement, et au-delà de leur rôle économique direct – emplois et achat de contenu ! – les bibliothèques sont un point de départ. Elles sont là pour créer de nouvelles connexions dans nos cerveaux, le genre qui nous aide à inventer, à mieux communiquer, à mieux analyser et à mieux penser, bref, à mieux contribuer à la collectivité.

On est habitué d’entendre les artistes défendre la culture, mais cette fois les gens d’affaires aussi se sont sentis interpellés. Serait-ce parce que comme bien d’autres, ils ont mal digéré les propos de 2014 de cet ancien ministre de l’Éducation, Yves Bolduc, qui trouvait franchement peu essentiel l’achat de nouveaux livres pour remplir les bibliothèques scolaires ? Cette année, c’est plutôt le ministre qui est allé porter à la mi-octobre une déclaration commune des bibliothèques sur leur importance dans la société.

La campagne qui vient en appui à cette démarche a pris le chemin des réseaux sociaux, et veut éveiller la population, d’abord et avant tout, à l’existence même des bibliothèques et aux services qu’elles offrent.

« Au Québec, la population compte 32 % d’abonnés à une bibliothèque : aux États-Unis, c’est 54 %, en Ontario et en Colombie-Britannique, plus de 40 %. On veut réduire cet écart. »

— Christiane Barbe, présidente-directrice générale de Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Et la première chose à faire, c’est donc d’en parler, de rappeler à la population qu’elles existent et qu’elles sont là, gratuitement, pour fournir culture et connaissances.

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Ces institutions existant sous une forme ou une autre depuis des siècles incarnent en effet parfaitement l’idéal de l’économie du partage contemporain. On met des ressources – de la culture, des données, du savoir – en commun, on les échange, on s’en sert avant de les remettre à d’autres. C’est sans frais, c’est ouvert.

La philosophie qui a mené à leur mise en place est un peu celle prônée par les partis pirates et les apôtres des logiciels libres : on offre du contenu à tous, on donne des chances égales à tous de bâtir à partir d’outils intangibles semblables.

En fait, les bibliothèques n’ont jamais ainsi été aussi actuelles puisqu’elles offrent gratuitement ce dont ont besoin les entrepreneurs en devenir et qui est offert de façon payante dans les lieux de travail commun de plus en plus populaires : des connaissances et de l’aide pour accéder à ces connaissances, des espaces communs et même, maintenant, des outils technos de pointe.

Par exemple, à la Grande Bibliothèque, explique Mme Barbe, on ouvre la semaine prochaine un nouveau média lab, à la façon des « fab labs » des universités américaines.

Là, on espère attirer ados et tout jeunes adultes, la population la plus difficile à joindre, avec de l’équipement audiovisuel et de fabrication de pointe. Table pour faire de l’animation, écran vert, ordinateurs très performants, imprimante 3D.

La bibliothèque ne devient pas incubatrice d’entreprises, mais on offre des ressources de premiers pas et cherche à agir contre la fracture numérique, explique la directrice.

« Le lien entre la bibliothèque et l’emploi est très fort », explique Mme Barbe. On vient s’y renseigner, s’intégrer, y prendre confiance. Nouveaux immigrés, sans-abri, chômeurs en quête de relance.

D’ailleurs, à la Grande Bibliothèque, il y a un centre d’emploi.

Et bientôt, on y ouvrira un café, pour pouvoir prendre un petit cappuccino en lisant un nouveau roman ou un magazine du bout du monde, gratuit. Et rêver aussi de nouveaux projets.

Les bibliothèques en quelques chiffres

4600 : le nombre de personnes qui travaillent dans les bibliothèques publiques et universitaires.

171,3 millions de dollars : la valeur des achats des bibliothèques publiques et universitaires du Québec

1,5 % : chaque augmentation de 1 % du taux de littératie dans une société fait augmenter le PIB par habitant de 1,5 %.

22 % : la différence entre le pourcentage de Québécois (32 %) et d’Américains abonnés à une bibliothèque (54 %). En Ontario, c’est 40 %.

4 $ :  Pour chaque dollar investi dans une bibliothèque, il y a 4 $ de retombées économiques

2,3 millions : le nombre de visite à la Grande bibliothèque en 2015, contre 1,5 million au Centre Bell, 1,8 million dans les grands musées montréalais et 2 millions à l’oratoire Saint-Joseph.

Sources : Institut de la statistique du Québec et Statistiques générales des bibliothèques universitaires québécoises 2014-2015

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