DUEL ÉCONOMIQUE

Une occasion d’enrichir les Québécois

Pour la première fois en plus de 50 ans, des élections générales ont porté au pouvoir un parti autre que le Parti libéral ou le Parti québécois. Un désir de sortir des sentiers battus semble avoir animé les électeurs. Il faut en profiter.

Le gouvernement sortant a laissé la maison en ordre : déficits budgétaires éliminés, remboursements annuels de la dette, amélioration de la cote de crédit de l’État. Ce redressement des finances publiques place le gouvernement désigné de M. Legault dans une position enviable : il peut se concentrer sur des questions qui ont été négligées pendant des années. On doit bien sûr continuer d’équilibrer les budgets, mais il serait erroné de croire qu’on peut tout simplement poursuivre sur notre élan. Car tout n’est pas rose.

Depuis 1960, le revenu disponible par habitant des ménages québécois augmente moins vite que celui des Canadiens. Pourtant, de 1945 à 1960, c’était l’inverse. Autre exemple : le Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal classe le Canada au 16e rang parmi 30 pays et provinces en ce qui a trait au PIB réel par habitant ; le Québec ne vient qu’au 25e rang. Bon an, mal an, le gouvernement québécois reçoit plus de 10 milliards en paiements de péréquation. Bref, on a un sérieux rattrapage à faire et, malgré quelques progrès, ce rattrapage n’est pas amorcé.

La priorité économique du nouveau gouvernement devrait donc être d’aider les Québécois à atteindre un niveau de prospérité au moins comparable à la moyenne canadienne et de nous sortir de notre situation de dépendance à la péréquation.

« Vaste programme », aurait sans doute dit le président de Gaulle. Mais si la Corée du Sud, Taïwan, l’Irlande et d’autres contrées moins favorisées que le Québec sont parvenues à rattraper et même à dépasser leurs voisins, il n’y a aucune raison de croire que ce n’est pas possible ici.

Miser sur l’investissement privé et l’innovation

Le principal déterminant du niveau de vie est la productivité, soit l’efficacité à produire des biens et des services. Or, le Québec traîne de la patte en termes de croissance de la productivité. La productivité québécoise n’a augmenté que de 39 % entre 1981 et 2015, contre 48 % au Canada, 67 % aux États-Unis, 64 % en Belgique et 108 % au Japon. Cette mauvaise performance relative de notre productivité plombe notre croissance économique, la capacité du gouvernement d’offrir des services, et les salaires et revenus des Québécois.

On connaît bien les grands facteurs responsables de l’augmentation de la productivité : ce sont l’investissement privé et l’innovation. Encore ici, le Québec se distingue de la mauvaise façon en étant en queue de peloton pour l’investissement privé non résidentiel parmi 30 pays et provinces (seules les provinces maritimes font pire). Comme quoi on a des croûtes à manger.

Comment attirer l’investissement ? La recette habituelle pour y parvenir passe trop souvent par les subventions ; si cela fonctionnait, nous serions riches, puisque le Québec en verse plus qu’à peu près toutes les autres provinces, en tenant compte de la taille de son économie. Par contre, l’impôt payé par les petites entreprises est le plus élevé au pays. Disons que ce n’est pas de nature à encourager l’entrepreneuriat…

Une réduction généralisée de la pression fiscale québécoise, la plus élevée au pays, doit être envisagée.

Un État plus petit et plus efficace est une condition pour permettre cette réduction des impôts et permettre de rendre le Québec plus attractif. Une fiscalité plus avantageuse aiderait aussi à attirer la main-d’œuvre et à la retenir.

Envisageons donc les quatre prochaines années comme une période où le gouvernement deviendra plus efficace et n’essaiera pas d’occuper toute la place. Ça serait un bon point de départ.

DUEL ÉCONOMIQUE

Préparer intelligemment la prochaine crise

Quelle devrait être la priorité économique du gouvernement de la CAQ ?

À l’approche de la prochaine crise économique mondiale, la priorité d’un nouveau gouvernement au Québec doit être d’élaborer une stratégie pour contrer l’inévitable enlisement dans la récession qui découlera d’un tel choc.

Offrir des baisses d’impôt sous prétexte que le Québec nage dans les surplus budgétaires l’obligerait en fin de compte à sabrer les services à la population. Un gouvernement lucide doit plutôt se préparer à faire face à deux grands défis : la crise économique et la crise écologique.

Les indicateurs pointent en direction du déclenchement d’une crise en 2019 ou en 2020. Parmi les facteurs qui contribueront à plonger l’économie dans la récession figure notamment la croissance de l’inflation à laquelle les banques centrales réagiront en réduisant plus avant les liquidités dans l’économie.

Au Canada, ceci pourrait avoir pour effet d’étrangler les ménages dont l’endettement a atteint des sommets historiques dans les dernières années. Le gouverneur de la Banque du Canada, Stephen Poloz, admettait même que le prix de l’immobilier – principale composante de l’endettement des ménages – est l’une des choses qui « l’empêchent de dormir la nuit »…

Facteurs énonciateurs

Les facteurs annonciateurs de la crise sont nombreux : les guerres commerciales lancées par Washington contribueront au ralentissement de la croissance, tout comme l’épuisement des stimuli fiscaux offerts par Donald Trump aux États-Unis sous forme de baisses d’impôt.

De son côté, la Chine ne parvient pas à régler ses problèmes de surproduction. Les économies dites émergentes sont confrontées à de graves problèmes d’endettement public, et l’Union européenne n’a toujours pas dépassé le stade de la lente et fragile reprise. Enfin, la surévaluation des marchés boursiers va de pair avec une phase d’expansion du cycle économique excédant déjà largement la norme.

Pire : la plupart des gouvernements occidentaux ont épuisé la marge de manœuvre leur permettant d’absorber à même les finances publiques les contrecoups d’un nouveau choc de l’ampleur de celui de 2008.

Or il sera beaucoup plus difficile cette fois-ci de refiler aux populations déjà échaudées la facture des pots cassés par les élites.

Menacés par les tenants d’une plus grande socialisation de l’économie d’un bord et par des nationalistes nauséabonds de l’autre, on s’imagine mal les gouvernements libéraux survivre à toute tentative de répéter le coup des politiques d’austérité à grande échelle.

Devant toutes ces incertitudes, un gouvernement québécois responsable doit prendre à bras-le-corps la crise économique et la crise écologique.

Rappelons que l’un des facteurs qui auraient contribué à limiter l’impact de la crise de 2007-2008 au Québec est l’importance de l’économie publique, soit la part des dépenses et revenus de l’État dans l’ensemble de l’économie. Souvent décrié comme une anomalie par les idéologues néolibéraux, ce particularisme québécois agit comme un stabilisateur automatique en cas de ralentissement économique.

En effet, les crédits votés par le Parlement se maintiennent au moment où l’investissement privé est plombé par l’incertitude économique, nourrissant ainsi plus avant le cercle vicieux qui mène à la récession. Ainsi, limiter la capacité d’action de l’État par de nouvelles baisses d’impôts serait une erreur.

Un gouvernement confronté à la récession devrait aller plus loin et lancer un plan de relance économique à l’aide d’investissements publics majeurs.

« Investir » signifie dessiner les contours de l’économie de demain, et la crise offrira une occasion formidable d’amorcer une transition écologique à même des grands chantiers d’efficacité énergétique, d’économie circulaire, de transformation des moyens de transport, etc.

L’appel favorable à un « New Deal » vert n’avait pas été entendu lors de la dernière crise économique. Un gouvernement responsable doit donc éviter à la fois les récifs du déni et ceux de l’abandon, et mettre en branle dès maintenant et une fois pour toutes une transition écologique digne de ce nom.

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