Opinion Regroupement des directions du CHUM et du CHU Sainte-Justine 

Une décision qui affaiblit la mission mère-enfant

La dérive technocratique qui menaçait l’avenir du Jardin botanique de Montréal a été évitée grâce au soutien du maire Denis Coderre.

La communauté s’est levée et un dirigeant politique a compris que les regroupements et les fusions ne sont pas toujours souhaitables, en particulier pour les institutions poursuivant une mission d’excellence. La dilution les guette et menace de ruiner leur avenir, même si elles sont plus que centenaires.

La décision du maire Coderre est l’occasion de remettre les projecteurs sur ce qui se passe avec le CHU Sainte-Justine, une autre de nos grandes institutions dont la mission d’excellence est menacée par les démons de la centralisation. Une foi facile dans les vertus de la concentration peut s’avérer destructrice. Un discernement s’impose ; le dossier du Jardin botanique nous le rappelle.

Les médecins, dentistes et pharmaciens du CHU Sainte-Justine ont, à maintes reprises, exprimé leur inquiétude et leur opposition à la décision de créer, le 3 septembre 2015, une seule direction générale et un seul conseil d’administration pour le CHUM et le CHU Sainte-Justine.

En effet, cette décision a privé Sainte-Justine de leviers fondamentaux pour une institution de sa nature et de son calibre. Vue de l’intérieur, elle a aussi lubrifié les choses pour une éventuelle fusion – lire dilution – complète dans le grand CHUM.

Le gouvernement se doit aujourd’hui de stopper la glissade dans laquelle sa décision a entraîné le CHU Sainte-Justine. 

La dérive serait facile à arrêter. Le gouvernement lui-même ne serait pas en contradiction. En effet, lorsque, en 2014, il a fait adopter la loi 10 fusionnant plusieurs centres hospitaliers, il avait soigneusement maintenu une gouvernance propre à certaines institutions phares (Institut Philippe-Pinel, Institut de cardiologie de Montréal, Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec et le CHU Sainte-Justine) reconnaissant ainsi leurs accomplissements et les risques qu’une fusion poserait pour la poursuite de leur mission. Cette annonce avait été rassurante et stimulante.

Pour des motifs qui demeurent obscurs aujourd’hui, le gouvernement a choisi, en septembre 2015, de ne pas respecter l’esprit de sa propre loi et d’autoriser la fusion des directions générales et des conseils d’administration du CHUM et du CHU Sainte-Justine, qu’il a pudiquement baptisé regroupement au lieu de fusion. À ce jour, seule Sainte-Justine a connu ce sort parmi les quatre institutions préservées par la loi 10. La communauté élargie de Sainte-Justine a été tétanisée par cette annonce, sans jamais en comprendre les motifs.

Dangers du regroupement

Depuis cette date, les dangers du regroupement animent les discussions sur les unités de soins, dans les salles à café et aux assemblées du Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens (CMDP) pour tenter de contrer la menace. Un sondage CROP mené auprès des membres du CMDP en juin 2016 était on ne peut plus clair : 90 % des membres estiment que le CHU Sainte-Justine devrait retrouver son statut de centre d’excellence pleinement autonome, au même titre que l’Institut de cardiologie de Montréal, l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec et l’Institut Philippe-Pinel. En rétrospective, ce fut une très mauvaise décision de ne pas réagir sur-le-champ et de laisser la chance aux coureurs. Bravo aux artisans et aux experts du Jardin botanique qui ont su le faire sans délai.

Le regroupement du CHU Sainte-Justine avec le CHUM a déjà commencé à faire sentir ses effets délétères. Le premier choc majeur est arrivé avec le projet OPTILAB. Le CHU Sainte-Justine fut le seul CHU au Québec à voir ses activités de laboratoire transférées à un autre CHU. Ce fut un premier signe que la mission de recherche et d’enseignement de Sainte-Justine était désormais assimilée à celle du CHUM. 

Représentations affaiblies

Pourtant, s’il existe un domaine où la pratique de la médecine pose d’énormes défis opérationnels et d’innovation sur le plan des activités de laboratoire, c’est bien en milieu pédiatrique ! En l’absence d’un conseil d’administration entièrement consacré à la mission mère-enfant du CHU Sainte-Justine, les représentations ont été affaiblies et seule une solution de compromis acceptable, mais fragile, de direction des laboratoires de la grappe du CHUM, avec composante pédiatrique de gouvernance, a pu être mise en place.

L’hôpital Sainte-Justine a été fondé en 1907 par des femmes soucieuses de la santé des enfants canadiens-français. Il est devenu, par la force des personnes qui l’ont habité et le soutien des Québécois, une grande institution de référence. L’idée de le noyer plus ou moins rapidement dans un grand centre de médecine adulte est une fausse bonne idée qui lui causera tôt ou tard des préjudices irréversibles.

Le Québec est une société assez riche pour avoir au moins un centre hospitalier où les décisions sont prises essentiellement en vue d’atteindre et de maintenir un haut niveau d’excellence en médecine mère-enfant. 

Il est temps pour le gouvernement de mettre fin à l’expérience du regroupement avec le CHUM et de revenir à l’esprit de la loi 10 en redonnant au CHU Sainte-Justine sa propre direction et son propre conseil d’administration. Les occasions de collaborer et d’innover avec nos collègues et amis du CHUM sur des projets communs ne vont pas pour autant disparaître et n’ont, d’ailleurs, jamais été un problème.

Le « sauvetage » du Jardin botanique vient confirmer ce que les médecins de Sainte-Justine savent d’instinct et de raison : une institution qui poursuit une mission d’excellence dans un domaine spécialisé a besoin d’une direction et d’administrateurs centrés sur les besoins spécifiques de cette institution. La décision du maire Coderre dans le dossier du Jardin botanique a le mérite de redonner espoir dans la possibilité de voir le bon sens l’emporter. À tous ceux et celles qui croient que le CHU Sainte-Justine est l’une des institutions dont la mission d’excellence mérite d’être préservée : le moment est propice pour vous exprimer haut et fort, à nos côtés.

* Dre Mona Beaunoyer, vice-présidente du CMDP ; Dr Denis Bérubé, secrétaire-trésorier du CMDP ; Dre Céline Huot, conseillère de l’exécutif du CMDP ; Dr Éric Drouin, conseiller de l’exécutif du CMDP ; Dr François Beaudoin, conseiller de l’exécutif du CMDP

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