Chronique

L’illusion d’égalité

Au palmarès mondial de l’égalité hommes-femmes dans les Parlements, tant le Québec (44e) que le Canada (48e) sont en retard. Un retard d’autant plus inquiétant qu’il ne semble pas inquiéter grand-monde. Avez-vous vu un seul chef politique en faire un enjeu électoral ?

Choquée par le haussement d’épaules, même parmi les femmes, que suscite cette question cruciale, la journaliste et auteure Pascale Navarro tente de secouer notre inertie en lançant cette semaine un plaidoyer pour la parité. Son court essai, Femmes et pouvoir : les changements nécessaires (Leméac), explique l’importance de la parité, déboulonne les mythes à son sujet, propose des solutions pour l’atteindre et rappelle que l’égalité des sexes ne devrait plus être uniquement le combat des femmes. Voilà une lecture qui devrait être obligatoire pour toute la classe politique, femmes et hommes inclus.

Dans une société où les femmes ont investi bon nombre de domaines traditionnellement masculins, les partis politiques expliquent souvent la sous-représentation des voix féminines en disant : « Ce n’est pas nous, c’est elles. C’est leur choix. Les femmes ne veulent pas se présenter. » Une réponse « complètement dépassée », dit Pascale Navarro, que j’ai rencontrée à la veille de son lancement. « C’est une réponse des années 70 ! »

L’inclusion des femmes en politique n’est pas optionnelle dans une démocratie. C’est un devoir.

« Si on avait dit la même chose pour le droit de vote, les femmes n’auraient jamais voté ! Plein de femmes étaient contre le droit de vote ! Il ne faut pas l’oublier ! »

Pourquoi la parité est-elle particulièrement importante en politique ? Parce que la politique, c’est nous, répond Pascale Navarro. Pour être équitable, le système politique doit s’assurer que le plus de voix possible soient entendues. 

« Les décisions qui se prennent au niveau politique se prennent en notre nom. Mais nous [les femmes], on n’est pas là. »

— Pascale Navarro

On ne peut plus se contenter d’une « illusion d’égalité ». « On a tort de penser que ce qu’on voit dans notre vie quotidienne se transpose au Parlement. Le Parlement, ce n’est pas la rue. On n’a pas la même représentation. »

L’illusion d’égalité et la sous-représentation ont des conséquences. Des acquis s’effritent. Des enjeux importants, que ce soit la nécessité de faire la lumière sur la tragédie des femmes autochtones assassinées ou de donner suite au mouvement #AgressionNonDénoncée, sombrent dans l’oubli. Quelle portée politique aura eu ce mouvement ? Le silence à ce sujet en dit long.

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De nombreuses études ont démontré que, dans une assemblée, pour qu’un groupe ait une influence, il faut que sa représentation soit d’au moins 40 %. C’est vrai pour les hommes comme pour les femmes, explique Pascale Navarro. C’est donc cet équilibre qu’il faut viser. Une zone de parité dans des instances démocratiques composées de représentants des deux sexes dans une proportion de plus ou moins 40 à 60 %.

Si les femmes demeurent absentes des milieux politiques, il faut se poser des questions. Il faut modifier les règles du jeu, changer les vieilles façons de faire qui font en sorte que l’on recrute toujours le même type de personne.

Des partis comme le Nouveau Parti démocratique ou Québec solidaire l’ont fait, ce qui montre que ce n’est pas irréaliste. Pascale Navarro souhaite que les autres partis s’en inspirent. « Je trouve assez choquant qu’au PQ comme au PLQ – des partis où, traditionnellement, les femmes ont eu beaucoup d’influence et où elles en ont beaucoup moins –, on ne s’en inquiète pas. »

Les femmes sont souvent elles-mêmes réfractaires à des mesures favorisant la parité – les quotas électoraux, par exemple. On croit à tort que ce type de mesures les discrédite et que tout vient à point à celui (ou à celle) qui le mérite. Celles qui s’y opposent disent : « Je veux être embauchée pour mes compétences. »

Tout le monde veut être embauché pour ses compétences, ça va de soi. Mais pourquoi doute-t-on des compétences des femmes avant même qu’elles ne se présentent ? Doute-t-on de la même façon des compétences des hommes ? 

« La méritocratie, c’est un leurre, rappelle Pascale Navarro. C’est un mythe. La tradition, c’est que les gens se choisissent entre eux, dans leurs réseaux. Parce que le système marche ainsi depuis toujours. À un moment donné, il faut changer la règle du jeu et aller en dehors de ses réseaux. Ce n’est pas juste moi qui le dis. Beaucoup d’hommes sont pour ça. Même Jean Charest est pour ça ! »

Interviewé dans cet essai, l’ex-premier ministre Jean Charest – qui a fait adopter en 2006 la Loi sur la gouvernance des sociétés d’État dans laquelle est inscrite l’obligation de parité –  déplore le fait que beaucoup d’hommes ont encore du mal à imaginer qu’une femme puisse être une leader. « Personnellement, je crois qu’on ferme les yeux sur des candidatures parce que, souvent, les femmes ne correspondent pas au casting, dit-il. Celui qui cherche le bon candidat ne la voit pas. »

À ceux qui croient que les quotas électoraux sont une forme de favoritisme, Pascale Navarro réplique qu’il s’agit plutôt d’une nouvelle règle de jeu qu’un contexte inégalitaire rend nécessaire. Cette règle n’empêche pas que les candidats devront faire leurs preuves pour remporter leur élection. Et puis, on l’oublie, mais d’une certaine façon, les hommes bénéficient déjà de quotas par défaut, souligne la journaliste. « Le système traditionnel tel qu’il existe aujourd’hui est une forme de quota qui favorise les hommes ! »

Cela dit, Pascale Navarro ne tient pas à tout prix à instaurer des quotas. Ce n’est qu’une solution à envisager parmi d’autres. Sans même y être obligés par la loi, les partis pourraient très bien faire comme Québec solidaire, seule formation politique au Québec à avoir inscrit dans ses règles l’obligation de parité et à l’avoir réalisée.

Les solutions existent, rappelle Pascale Navarro. Elles dorment dans plusieurs rapports auxquels personne n’a donné suite. L’an dernier, le Directeur général des élections a publié un rapport très étoffé sur les facteurs d’influence et les mesures incitatives qui permettraient que les femmes soient bien représentées en politique.

« On a toutes les solutions ! Mais comment se fait-il que personne ne se prononce ? »

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