Chronique

La fin d’un tabou

C’est fou, je ne pensais pas entendre une chose pareille de mon vivant. Je n’aurais jamais cru qu’un gouvernement s’attaquerait à la vache sacrée des vaches sacrées : les subventions à l’école privée.

Quand j’osais, je dis bien osais, demander à Lucien Bouchard, Bernard Landry ou Jean Charest s’ils remettaient en question les subventions à l’école privée, ils me regardaient du haut de leur poste de premier ministre comme si je débarquais de la planète Mars, puis ils laissaient tomber un non ferme, les lèvres pincées. Pas question de toucher à ce dossier. Tabou.

Depuis quelques années, ce refus obstiné a connu des ratés. La première brèche est apparue en 2010 quand la ministre libérale de l’Éducation, Line Beauchamp, a dit qu’elle était prête à « bousculer » les écoles privées en les obligeant à intégrer davantage d’élèves en difficulté.

Deux ans plus tard, la ministre Marie Malavoy a affirmé que les écoles privées perdraient leurs subventions si elles continuaient d’imposer des examens d’admission. Elle voulait mettre fin à la sélection des élèves si chère à plusieurs écoles privées. Mais Pauline Marois a tué l’initiative dans l’œuf en s’empressant de dire que c’était une « hypothèse » à ce « moment-ci ». Le projet est mort-né.

Deux avertissements en deux ans de deux gouvernements différents, un libéral et un péquiste. Les écoles privées étaient en train de perdre leur statut d’intouchable.

Aujourd’hui, Québec envisage sérieusement de baisser les subventions aux écoles privées d’au moins 50 %.

On ne parle plus de brèche, mais de trou béant.

Enfin.

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Le but de l’opération : économiser de l’argent. Le gouvernement racle les fonds de tiroir et tire sur tout ce qui bouge et coûte cher : les services de garde, la santé, l’éducation.

Le gouvernement espère économiser 1 milliard, soit 10 % du budget de l’éducation, en précipitant le système dans un grand branle-bas de combat (encore !) qui va de l’abolition ou de la fusion de commissions scolaires à la diminution des subventions aux écoles privées, sans oublier la réduction du nombre d’épreuves ministérielles…

Le débat est comptable : va-t-on vraiment économiser de l’argent en attaquant l’école privée ?

Le public devra accueillir les élèves qui vont quitter le privé parce que leurs parents n’auront pas les moyens d’absorber une hausse de 2000 $ par année. La facture du public va donc gonfler… mais celle du privé va diminuer, etc.

Pendant qu’on additionne ou soustrait les millions, on oublie un point fondamental : la santé mentale du système d’éducation, qui souffre de schizophrénie galopante depuis trop d’années.

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Je l’ai écrit et réécrit : le privé vampirise le public. Le privé attire les élèves doués et ceux qui n’ont pas de problème d’apprentissage. Ils vident les écoles publiques de leurs meilleurs éléments. Le privé a un effet débilitant sur le public, qui se ramasse avec les cas lourds.

L’effet pervers est exponentiel. Plus le privé gonfle ses rangs, plus le public s’étiole. Et plus le public s’affaiblit, plus les parents se jettent dans les bras du privé parce qu’ils n’ont plus confiance dans le public. Et l’exemple vient de haut. La plupart des politiciens, ministres de l’Éducation en tête, choisissent le privé pour leurs enfants. Ils envoient un drôle de message à la population. « Le public est bon pour vous, mais pas pour nous. »

Merci pour la confiance.

L’effet boule de neige se fait sentir surtout au secondaire. En 1973, 8 % des élèves fréquentaient une école privée au Québec. En 1998, ce chiffre grimpait à 16 %. Le double.

Le problème est particulièrement aigu à Montréal : au tournant des années 2000, 30 % des élèves du secondaire allaient au privé. Un élève sur trois.

Aujourd’hui, de 35 à 40 % des élèves du primaire de la Commission scolaire de Montréal choisissent le privé, selon le syndicat, l’Alliance des professeurs.

Le gouvernement doit stopper l’hémorragie. Et la meilleure façon d’y arriver, c’est en supprimant les subventions au privé.

Le privé se défend en affirmant qu’il accepte des élèves en difficulté d’apprentissage. C’est vrai, mais il en accueille très peu, moins de 3 %, alors que le public, lui, croule sous les élèves en difficulté, qui constituent 20 % de sa clientèle.

Autre point : le privé jure qu’il n’est subventionné qu’à 50 %. En mai, un comité d’experts* a mis les points sur les i en comparant des pommes avec des pommes. Sa conclusion : le privé est subventionné à 75 %. Les experts ont calculé le coût moyen d’un élève ordinaire au public. Ils ont exclu les particularités qui gonflent la facture du public, comme le transport scolaire, les élèves en difficulté, etc. Un élève ordinaire au public coûte 5471 $. Le privé, lui, reçoit 4090 $ par élève, soit 74,8 %.

C’est énorme et injustifiable. Pourquoi les contribuables doivent-ils verser 4090 $ par élève au privé ? Pourquoi ce traitement de faveur qui crée des aberrations dans le système et « nuit à la réussite de l’ensemble des élèves », selon le comité d’experts ?

C’est ironique de voir les libéraux s’attaquer aux privilèges immuables des écoles privées, et non les péquistes. Ils le font pour de mauvaises raisons, économiser, mais peu importe, l’important c’est qu’un gouvernement ose enfin s’attaquer à cette vache sacrée.

* Rapport sur le financement, l’administration, la gestion et la gouvernance des commissions scolaires. 

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