Chronique

Le temps qui reste

Martine Chartrand m’avait prévenue. « Je t’avertis, je ne ferai pas pitié dans ton histoire… »

Elle aurait pu.

L’histoire de Martine Chartrand commence comme celle de 16 femmes au Québec qui reçoivent, chaque jour, un diagnostic de cancer du sein. En fait, elle commence un peu avant, quand elle a senti un « petit grain de riz dans son sein droit ».

Elle avait 30 ans.

Elle est allée aux urgences, elle habite à une minute de l’hôpital de Charny, on lui a prescrit une mammographie, deux jours plus tard à l’hôpital de Lévis.

Le lundi à l’hôpital de Lévis, on a fait la mammo, puis une deuxième. « Le mercredi matin, ils m’ont appelée, “on t’attend pour une biopsie”… Ça réveille raide ! » Elle a passé la biopsie avant la fin de la semaine, elle allait avec des amis dans un chalet.

— T’as su pour Jolyane ?

— Su quoi ?

— Elle a un cancer du sein, c’est capoté, 30 ans, deux enfants…

Martine était sous le choc, elle avait tant galéré avec sa vieille chum du secondaire, Jolyane Fortier. « Je me suis demandé : “Coudonc, on vit-tu la même chose ?” Quand je suis revenue à la maison, j’ai appelé Jolyane. »

Dix jours plus tard, le diagnostic de Martine tombait, identique.

Martine était avec son amoureux quand le médecin lui a annoncé la mauvaise nouvelle, elle n’entendait plus rien, les sons se sont perdus dans l’écho du mot cancer.

Tout a déboulé, chirurgie, chimio, radio. Elle parlait beaucoup avec Jolyane. « Elle avait deux mois d’avance sur moi, on se parlait de ce qu’on vivait. »

Elles ont même pris un égoportrait, grand sourire, pas un cheveu sur le caillou.

Mais, à l’automne 2013, alors que Martine recommence à conjuguer sa vie au futur, Jolyane doit le faire au passé. Le cancer est revenu, métastases, elle doit faire ses adieux à son amoureux, à ses deux enfants, à tous ses amis. « Je me sentais intrus. Elle voulait que je lui raconte mes projets, même à la fin. Je n’étais pas capable… »

Martine avait la tête pleine de projets, suivre des cours de plongée avec son chum, reconstruire son sein perdu, travailler. Martine adore travailler, elle avait un boulot de jour au CHUL, un autre le soir, comme serveuse aux Trois Brasseurs.

Elle est comme ça, Martine.

Elle est aussi du genre à trouver des excuses pour ne pas aller à l’hôpital. « Après la reconstruction de mon sein, je sentais comme une pression à la poitrine, je me disais que ça devait être normal. »

Même chose quand elle avait le souffle court. « J’avais recommencé à m’entraîner, je me disais que j’avais fait un faux mouvement. »

Le 29 février, le souffle lui a coupé net, en sortant du boulot. « Je me suis rendue à l’hôpital, ils m’ont branchée sur une machine, ils m’ont dit que mon cœur n’était pas normal. Je leur ai demandé si c’étaient les poumons, j’ai tout de suite pensé à Jolyane, le cancer était revenu dans ses poumons. »

Les poumons de Martine étaient beaux.

C’était la bonne nouvelle. « La mauvaise nouvelle, c’est qu’il y avait des métastases au foie et aux os. » C’était le 8 mars, la Journée de la femme. « On a eu les résultats, cancer stade IV, le dernier. Au foie, il y a une lésion de quatre centimètres sur quatre centimètres, les os sont très atteints. »

Elle a eu l’heure juste. « Le médecin m’a dit : “Tu ne guériras pas.” Il ne pouvait pas me dire il me reste combien de temps à vivre. »

Martine a 34 ans.

Elle a encaissé le coup. Et elle a rebondi. « C’est certain que je m’en passerais, du cancer, mais j’apprends tellement d’affaires depuis. J’ai changé mon beat de vie, je n’ai plus les mêmes priorités. »

« Mon chum et moi, on ne s’est jamais tant aimés que maintenant, ça nous rapproche encore plus. »

— Martine Chartrand

Même si elle marche lentement, qu’elle n’a, encore, plus un cheveu sur le caillou.

Ses amis lui ont même fait une fête, fin avril. « Mes amis m’ont organisé un party en cachette, c’était une surprise. Il y avait plus de 200 personnes, tout le monde avait des chandails blancs. Je ne voyais rien, j’avais les yeux pleins d’eau. »

Elle pleurait de joie. « Tout le monde était dans la même énergie que moi, il n’y avait pas de pitié, mosus qu’on était bien. Il y avait tellement de monde que j’ai eu de la misère à donner du temps à chacun. »

Une autre surprise attendait Martine. « Le frère de mon chum et sa blonde, Donald et Geneviève, ont annoncé qu’ils mettaient sur pied une fondation pour ramasser de l’argent pour aider les jeunes femmes comme moi. Ils font ça pour que je n’aie pas à m’en faire pour l’argent, que je me concentre sur ma bataille. »

La fondation s’appelle Les Battantes, justement.

Pour l’instant, les nouvelles sont bonnes, Martine répond merveilleusement bien aux traitements de chimiothérapie. On sait ça grâce à des marqueurs : plus ils sont élevés, moins la réponse est bonne. Le marqueur de Martine, le CA153, est passé de 1135 le 14 mars à 294 le 20 mai. « Je suis tellement contente ! Mais mon oncologue dit que ça ne veut pas dire que les métastases ont diminué. Ça prouve que la chimio fonctionne. Bientôt, je vais passer un TACO pour voir mes os et mon foie, c’est rendu où. »

Elle verra rendue là. « Au premier cancer, je laissais aller, je n’avais pas peur de mourir, j’avais un planning. Cette fois-ci, je ne sais pas exactement ce qui m’attend, c’est ça que je n’aime pas. Mais je n’ai pas peur, je n’ai pas peur de mourir. Je fais des projets avec mon chum, je prends ça comme ça vient. »

L’été s’annonce beau. « C’est mon premier été où je ne travaille pas, je vais en profiter ! »

C’est fou, jamais Martine n’a été aussi vivante qu’avec la mort qui lui pend au bout du nez. Elle vivra à fond tant que le compteur tournera.

Le temps est plus précieux quand il est compté.

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