Prix de la téléphonie sans fil

Le CRTC baisse le ton

Les Canadiens paient-ils trop cher pour leurs forfaits de téléphone portable ? Le nouveau président du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), Ian Scott, ne veut pas trancher, même s’il reconnaît que « le Canadien moyen a l’air de penser qu’il y a un problème ». « Il y a une préoccupation [chez les consommateurs] que les prix [du sans-fil] pourraient et devraient être plus bas, mais c’est vrai pour plusieurs produits », dit-il en entrevue à La Presse.

Il s’agit d’un changement de ton par rapport à son prédécesseur Jean-Pierre Blais, qui n’avait pas hésité à dire dans son dernier discours, en juin, que le niveau de concurrence dans le sans-fil était insuffisant et que « le Canada sera toujours aux prises avec un problème de prix élevés pour le sans-fil de détail […] jusqu’à ce que la situation actuelle évolue, si jamais c’est le cas ». M. Blais parlait même de réglementer les prix dans le sans-fil comme l’une des trois solutions à explorer par le CRTC.

Contrairement à son prédécesseur, Ian Scott ne veut toutefois pas dire s’il estime que les prix sont trop élevés. Selon une étude du CRTC en 2016, le prix des forfaits sans fil au Canada est en moyenne au deuxième rang des plus chers parmi huit pays comparés. « La question n’est pas de savoir si je pense que les prix sont trop élevés. Les comparaisons de prix sont difficiles à faire, […] il y a tellement de variables. Le Canadien moyen a l’air de penser qu’il y a un problème, le ministre [fédéral Navdeep Bains] l’a dit publiquement [qu’il y a un problème] en nous renvoyant une décision, on peut présumer que les fournisseurs reconnaissent qu’il pourrait y avoir un problème », dit Ian Scott, qui a commencé en septembre son mandat de cinq ans à la tête du CRTC, l’organisme réglementaire des télécommunications, de la radio et de la télé.

Ian Scott pense plutôt qu’il y a « beaucoup de concurrence » en matière de télécoms au Canada. Assez de concurrence ? « Je ne sais pas comment définir assez de concurrence, dit-il. Il y a certainement un haut niveau de couverture. »

« Pour un pays avec environ 40 personnes par kilomètre carré, le réseau LTE est disponible presque partout, il y a trois entreprises nationales, trois entreprises régionales, des marques au rabais, beaucoup de fournisseurs. »

— Ian Scott

M. Scott, qui a fait carrière comme cadre supérieur au sein de plusieurs entreprises de télécoms comme Télésat Canada (une entreprise de satellites) et Telus, estime toutefois que la concurrence est appelée à augmenter, notamment entre les fournisseurs puisque le CRTC obligera le « Big 3 » (Bell, Rogers, Telus) à partager l’accès à ses réseaux de télécoms avec d’autres fournisseurs moyennant rétribution. Aussi, le président du CRTC entrevoit moins d’acquisitions dans le secteur. « Comme il y a moins d’entreprises qui peuvent faire l’objet d’une acquisition, les [grands] fournisseurs devront concurrencer pour gagner et garder des consommateurs », dit M. Scott.

Autre son de cloche

L’expert Michael Geist n’est pas d’accord. Selon le professeur de droit de l’Université d’Ottawa et directeur d’une chaire de recherche sur le droit d’internet, il n’y a pas assez de concurrence en téléphonie sans fil au Canada.

« Vous voyez des choses au Canada qui n’arriveraient pas s’il y avait assez de concurrence, dit le professeur Geist. Un exemple récent ? Les Canadiens paient presque 1,5 milliard de dollars par an en frais parce qu’ils dépassent leur limite de données. C’est 10 % du montant total payé pour les données. Dans un marché véritablement concurrentiel, les fournisseurs offriraient des forfaits illimités ou reporteraient les données inutilisées d’un mois à l’autre. Les fournisseurs sont plus que contents d’empocher cet argent – Bell et Rogers veulent augmenter les frais jusqu’à 40 % cette année –, mais ça n’arriverait pas dans un marché concurrentiel. »

Le professeur Geist croit aussi que les forfaits sans fil sont trop chers au Canada.

« C’est évident, au point où les fournisseurs ne tentent même plus de faire le débat [sur le prix], mais insistent sur la qualité du service. »

— Michael Geist

Les droits des consommateurs

Ian Scott veut que le CRTC continue de se concentrer sur les droits des consommateurs en matière de télécoms. Son organisme de réglementation aura d’ailleurs un premier test : Telus et Rogers demandent le report du nouveau code sur les services sans fil, qui doit entrer officiellement en vigueur le 1er décembre. Le CRTC avait annoncé ce code… en 2013.

« Le focus du CRTC a été de donner aux consommateurs les outils dont ils ont besoin pour faire des choix intelligents, comme le code sur les services sans fil et les frais de déverrouillage des portables », dit Ian Scott.

Le nouveau président du Conseil reste toutefois prudent à savoir s’il songe à donner de nouveaux droits aux consommateurs. « Je ne peux pas prédire, nous verrons ça au fur et à mesure, dit-il. Regardez les frais de déverrouillage. Nous avons déterminé qu’il y avait un problème et nous l’avons réglé. Si nous identifions un autre problème, nous ferons la même chose. Je n’ai pas de liste de droits additionnels. »

Ian Scott aimerait voir les fournisseurs de services sans fil « répondre aux demandes des consommateurs, soit d’offrir le meilleur service au coût le plus bas ». « Ce point d’équilibre dépend du niveau de la concurrence, des résultats de l’industrie et des choix des consommateurs. Les consommateurs vont choisir les gagnants et les perdants », dit-il.

Pour l’instant, les consommateurs ne font pas beaucoup de choix. Le taux de désabonnement des clients du « Big 3 » a diminué en moyenne de 1,8 % en 2012 à 1,5 % en 2016. Un taux aussi bas signifie souvent un manque de concurrence. « C’est bas, et j’imagine que les entreprises veulent le garder aussi bas, dit Ian Scott. […] C’est probablement les fournisseurs qui devraient répondre à cette question, mais ça peut vouloir dire que les consommateurs sont contents de leur choix, que les fournisseurs ont répondu à la pression des consommateurs ou que les fournisseurs ne sont pas assez agressifs dans la poursuite de nouveaux consommateurs. »

Qui est Ian Scott ?

Ce Montréalais bilingue a travaillé dans le secteur de la réglementation des télécommunications au cours des 25 dernières années.

De 2009 jusqu’à sa nomination au CRTC à l’été 2017, il était directeur général des affaires réglementaires de Télésat Canada, une entreprise privée de satellites.

Il a occupé plusieurs postes de cadre au sein d’entreprises privées de télécoms, dont Telus, au cours des 20 dernières années.

Il a travaillé au Bureau de la concurrence et au CRTC (1990-1994).

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La réglementation en télé

« Que pensez-vous d’être dans le milieu ? Ça dépend de l’enjeu. Je favorise beaucoup de concurrence, et seulement autant de réglementation qu’il en est nécessaire pour satisfaire les objectifs de la Loi sur la radiodiffusion. Et actuellement, je crois que la réglementation satisfait les objectifs de la loi, mais nous sommes ouverts aux demandes [des entreprises]. […] Les entreprises réglementées qui pensent qu’il y a trop de réglementation, ce n’est pas nouveau. […] C’est toujours le même problème. »

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Netflix sans contraintes réglementaires

« Ça marche très bien parce que les objectifs de la Loi sur la radiodiffusion sont atteints : il y a une industrie en santé et qui a du succès dans les deux langues officielles [sans avoir besoin de poser des conditions à Netflix et aux autres diffuseurs en ligne]. Nous observons que le système n’est pas brisé, même s’il est sous une pression sévère. » [Netflix et les autres diffuseurs en ligne sont réglementés par le CRTC, mais celui-ci choisit de les exempter de contraintes réglementaires.]

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La contribution des fournisseurs d’accès à la création de contenu

« C’est une possibilité, mais ce n’est pas le temps de dire ce que nous pourrions conclure. Nous sommes dans les premiers jours du processus [de consultation], nous n’avons rien conclu. Nous ne l’incluons ni ne l’excluons pas. » [Au petit écran, les câblodistributeurs consacrent 5 % de leurs revenus à soutenir le contenu. Les fournisseurs d’accès internet n’ont pas à payer une telle contribution sur leurs revenus, mais le gouvernement Trudeau a demandé un rapport au CRTC sur les nouveaux modèles de distribution.]

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