Opinion Pascale Navarro

ANNULATION DU SPECTACLE SLĀV Admettre l’histoire, est-ce si difficile ?

Beaucoup d’encre coule encore au sujet de la polémique SLĀV et même si les spectacles ont été annulés, le débat doit continuer.

La difficulté des « autorités » du Festival de jazz et des créateurs à répondre aux demandes et aux reproches qui leur sont faits a contribué à ce dénouement. Pourtant, qu’y a-t-il de si compliqué à admettre que les dénonciations de ce groupe sont fondées ? De reconnaître sur quoi s’est bâtie l’histoire ? Ça ne fait pas de chacun de nous des racistes, au contraire, c’est une main tendue.

Je doute de beaucoup de choses dans la vie, mais pas de celle-ci : c’est le regard colonialiste qui prévaut encore dans notre société et c’est heureusement en train de changer, comme en témoigne cet épisode.

Bien sûr que l’histoire des Noirs et d’autres peuples est passée sous silence. Et désolée de le dire, mais quand nous en parlons, dans l’art, la politique, les médias, la culture académique, c’est trop souvent avec ce regard empreint de supériorité intellectuelle (et pourtant !) : nous avons hérité de cela, et la bonne nouvelle c’est que ça peut changer. Ce n’est pas un crime, nous avons été élevés là-dedans : toutefois, c’est un devoir que d’essayer de changer ce regard.

L’exemple des femmes

Les femmes savent très bien ce que cela veut dire, et si on veut parler de colonialisme, laissez-moi vous rappeler que 50 % de la population de la Terre, ou presque, a servi (sert ?) l’autre 50 % pour qu’il puisse asseoir son pouvoir. Et quand on dit ces choses, on a droit, encore aujourd’hui, à des yeux qui roulent, à des mines incrédules.

Mais c’est pourtant vrai que le monde s’est construit sur l’exploitation des femmes, qui soignent, aiment, nourrissent, nettoient, « réconfortent », au prix de leur propre santé, de leur intégrité, sans que grand-monde ne s’en indigne.

Pas d’inquiétude, j’arrête là cette comparaison. Car l’élément « classe sociale » a donné à certaines femmes des avantages, une voix, des moyens pour se faire entendre et trouver leur place. Toutes les femmes ne sont pas à mettre dans le même panier.

Trouver une légitimité

Il n’en demeure pas moins que l’histoire des femmes a été oblitérée, il a fallu l’exhumer, la réclamer, la construire, en démontrer l’existence et surtout lui donner une légitimité, qu’elle n’a d’ailleurs pas encore tout à fait.

Donc, les membres de la coalition ont eu raison. Raison de réclamer un autre regard sur leur histoire, qui est aussi la nôtre, comme l’a mentionné Robert Lepage d’ailleurs, en disant que oui, les Blancs avaient profité de ce système. Mais alors que faire, si ce n’est de le reconnaître, et d’essayer de comprendre comment sortir de cette impasse ?

Le monde change, il faut avancer

Ce qui manque cruellement, ce sont des espaces où ces choses-là peuvent se dire, sans personnaliser les débats. Le spectacle aurait pu continuer, et le dialogue commencer. En toute clarté, en toute bonne foi. Je déplore ici notre pauvreté intellectuelle, incapables que nous sommes de discuter de ces sujets avec un peu de hauteur.

Puisqu’on ne les a pas écoutés, les militants ont pris les moyens pour se faire entendre, comment leur en vouloir ? 

Quand leur message trouve peu d’écho ou qu’il est récupéré à des fins électoralistes ou partisanes ? Quand on peine à mettre en pratique des programmes d’accès à l’emploi, même si la société s’est donné les moyens de le faire ? Ce qui est encore pire : mettre en place un système pour faire progresser la société… et laisser régner le statu quo.

Quel mépris  !

Un rendez-vous à respecter

Les créateurs de SLĀV et le Festival de jazz viennent de se faire dire qu’ils ont un rendez-vous avec l’histoire. Il ne faudrait pas qu’ils le manquent, et nous (le public, la critique, les médias) sommes aussi concernés. Et pour cela, il faut comprendre ce qui arrive, être capable de se regarder en face et d’admettre que l’on a tous nos propres biais, et qu’ils se retrouvent dans ce que nous écrivons, créons, disons, décidons.

Je vois plutôt là l’occasion de faire un pas de géant.

Que cette histoire ne finisse pas là !

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