Chroniqu

Avant que nos condos ne tombent en ruine

Les propriétaires de condo sont des cigales qui ne mettent pas assez d’argent de côté pour faire face aux rénovations futures.

Un sondage qui sera diffusé ce matin démontre que quatre syndicats de copropriété sur dix ont déjà manqué d’argent lorsqu’ils ont dû réaliser des travaux. Le problème est encore plus criant dans les condos âgés de plus de 15 ans : près des deux tiers se dont déjà retrouvés avec un fonds de prévoyance à sec.

Faute d’économies, les copropriétaires font alors face à des cotisations extraordinaires (dans 61 % des cas), à une hausse des frais mensuels (16 %) ou une combinaison des deux (20 %). Ces ponctions imprévues de plusieurs dizaines de milliers de dollars peuvent faire très mal à ceux qui ont un budget serré.

La pilule est particulièrement dure à avaler pour les premiers acheteurs qui achètent avec seulement 5 % de mise de fonds, précise Christiane St-Jean, membre du C.A. de la Fédération des chambres immobilières du Québec (FCIQ).

Pour contrer ce problème sournois qui mine l’industrie des condos, la FCIQ a décidé de faire front commun avec l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ) et le Regroupement des gestionnaires et copropriétaires du Québec (RGCQ).

Après avoir piloté le sondage, ces trois piliers de l’industrie du condo réclament aujourd’hui l’intervention du gouvernement, qui mijote une réforme depuis 2009. Après six ans, je pense que les carottes sont cuites.

Quand l’industrie elle-même réclame une loi plus sévère pour l’encadrer, c’est qu’il est vraiment temps de bouger ! Une réforme est essentielle pour maintenir la confiance du public et pour éviter qu’on ne se retrouve avec des condos-poubelles.

On ne voudrait surtout pas en arriver au même point que la France, où le cinquième du parc de condos était dans un état de « taudification » avancé, ce qui a forcé l’État à démolir et reconstruire certains immeubles à ses frais.

Au Québec, le retrait récent de l’assureur Aviva du marché du condo a envoyé un signal d’alarme. Les autres assureurs ont aussi augmenté considérablement les primes et les franchises d’assurance des condos, à cause des réclamations de plus en plus lourdes qui découlent souvent d’un manque d’entretien.

Lorsque le fonds de prévoyance est insuffisant, certains syndicats peuvent être tentés de reporter les travaux le plus longtemps possible. Et quand le toit coule, la facture déborde chez les assureurs… qui ne sont pas là pour remplacer le programme d’entretien.

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« Le marché des condos est malade », constate Me Yves Joli-Coeur, fondateur du RGCQ.

Et quel serait le remède ? Forcer les gestionnaires de condos à procéder à une étude du fonds de prévoyance, s’entendent pour dire les trois grands acteurs de l’industrie.

Cette étude consiste à établir un carnet des travaux à exécuter au fil des ans, à chiffrer leur coût puis à fixer les cotisations annuelles nécessaires pour bâtir un fonds de prévoyance suffisant. En Ontario, cette démarche est obligatoire. Au Québec, non.

Chez nous, la moitié des syndicats de copropriété n’ont aucune forme d’outil de gestion pour s’assurer que leur fonds de prévoyance sera suffisant pour financer l’entretien de l’immeuble, démontre le sondage. Brouillard total !

Pour un acheteur, impossible de s’y retrouver sans une telle étude. La hauteur du fonds de prévoyance ne dit pas tout. Un fonds de 5000 $ peut être suffisant si tous les travaux viennent d’être exécutés, tandis qu’un fonds de 500 000 $ peut être insuffisant si l’immeuble nécessite des travaux de deux millions de dollars à court terme.

Comment être certain qu’une cotisation extraordinaire ne va pas tomber du jour au lendemain ? Comment s’assurer qu’on n’achète pas les problèmes de quelqu’un d’autre ? Pas évident.

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Tout ça pour dire qu’il faut des balises claires. Même les constructeurs en conviennent. Aujourd’hui, les promoteurs consciencieux qui établissent des frais de condo plus élevés pour constituer un fonds de prévoyance suffisant se font couper l’herbe sous le pied par des concurrents plus cow-boys.

Dans un contexte où le marché du condo ralentit, la tentation sera encore plus forte de réduire les frais à leur plus simple expression pour mieux vendre les unités.

En 2012, le Comité consultatif sur la copropriété avait recommandé à Québec d’établir la cotisation annuelle au fonds de prévoyance à 0,5 % de la valeur de l’immeuble, en attendant que tous les syndicats procèdent à une étude de leur fonds de prévoyance.

Mais il s’agissait d’un minimum. Le niveau requis serait plutôt autour de 0,85 %, et même de 1,25 % dans certains cas.

En ce moment, le fonds de prévoyance se chiffre à 1,7 % de la valeur de l’immeuble, en moyenne, selon le sondage. Ce chiffre peut sembler relativement sain, mais il masque le fait que les deux tiers des répondants versent moins de 1 % par année dans leur fonds de prévoyance.

En s’assurant que tout le monde cotise suffisamment, on éviterait les histoires d’horreur. L’idée est de procéder graduellement pour éviter les chocs, indique François-William Simard, porte-parole de l’APCHQ. Il faudrait aussi appliquer les mêmes règles à tout le monde, tant dans le neuf que l’existant, pour être parfaitement équitable.

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