Société

une doula pour accueillir la mort

Une pour la naissance. Et une pour la mort ? La définition du mot doula est en train de changer. Il ne servira plus qu’à désigner un spécialiste de l’accompagnement à l’accouchement, mais aussi de l’accompagnement de fin de vie. Les premières écoles de « thanadoula » ouvrent leurs portes au Canada.

Caroline Soucy a créé l’an dernier l’un des – sinon LE – premiers cours de thanadoula donné à Montréal, à l’école Cybèle. Infirmière spécialisée en soins palliatifs depuis une vingtaine d’années, elle a remarqué avec le temps que « le système de santé est très bien armé, mais des fois, les ressources vont manquer pour le simple fait d’être écouté à la maison, d’avoir quelqu’un à qui parler, avec des horaires plus mobiles ».

Il n’y a pas de définition de tâche précise pour une thanadoula. « Nous ne posons pas d’acte médical », précise d’entrée de jeu Caroline Soucy. « Nous sommes là pour expliquer aux gens quels sont leurs choix, ajoute l’infirmière Jennifer Mallmes. Où peuvent-ils mourir ? À la maison ? Quel type de funérailles veulent-ils ? On essaie de les aider à être bien et avoir une qualité de vie, jusqu’à la fin. » 

Affronter ses peurs

Au lieu du « plan de naissance » élaboré avec les femmes enceintes, les doulas de fin de vie aident à préparer un « plan de fin de vie » avec les dernières volontés du malade.

Mais surtout, on discute de la peur de mourir. Pour devenir « presque ami avec la mort », dit Mme Mallmes. « Il faut parler avec la personne de ses peurs, les décortiquer, lui permettre de les comprendre, voir ce qu’on peut en faire, réaliser que finalement, elles ne sont pas si effrayantes », dit-elle. 

Jennifer Mallmes dresse des listes avec ses patients. Ils ont peur d’avoir mal ? Peut-on s’assurer alors que ce ne sera pas le cas, en parlant à un médecin ? Ils ont peur de laisser seuls des proches aimés ? Peuvent-ils préparer une lettre, une boîte de souvenirs, un message vidéo, à l’intention de leurs enfants, leur mère, pour leur dire combien ils les ont aimés ? Et ainsi de suite.

Certains font appel à une doula juste après avoir reçu un diagnostic de cancer. Ou après que leur conjoint l’a reçu. Parfois, quelques rencontres suffisent. Jennifer Mallmes a suivi une patiente plus de deux ans, la maladie progressant plus lentement que prévu. « Mais nous ne travaillons pas avec les enfants, dit-elle. Parce que notre but est d’aider les gens à faire les bons choix pour eux alors que les enfants n’y sont pas autorisés seuls. »

« On apprend beaucoup en travaillant avec les personnes en fin de vie. La personne qui apprend qu’il n’y a plus rien à faire pour sa santé entre dans un processus de deuil qui fait en sorte que, chaque jour, elle vit de nouvelles pertes. Elle en vient au temps des bilans, à se demander si elle est contente de ce qu’elle a pu réaliser, si elle a fait tous les rapprochements avec ses proches, etc. »

— Caroline Soucy

« On peut l’aider si ce n’est pas le cas. Mais on en vient nécessairement à transposer toutes ces interrogations dans notre propre vie et à se dire qu’il faut en profiter au maximum pour n’avoir aucun regret à la fin. »

Une formation, mais pas de certification

Jennifer Mallmes a chapeauté le tout premier programme de doulas offert dans un établissement d’enseignement au Canada, au Collège Douglas, en Colombie-Britannique. La formation est assez courte : cinq jours. « La plupart des gens qui la suivent ont déjà une autre formation en soins de santé et veulent approfondir leurs connaissances », note-t-elle. Chez Cybèle, il faut compter près de 1200 heures de cours réparties sur 18 mois pour obtenir son diplôme ; la formation est donnée en ligne ou en chair et en os. 

« On ne peut pas prendre cette formation-là et faire carrière. Il faut une base – être intervenant dans le secteur de la santé – et s’intéresser au phénomène », précise Mme Soucy.

Il n’existe toutefois aucune certification officielle pour exercer ce métier, remarque Carla Mitchell, auteure d’un mémoire sur l’émergence des doulas de fin de vie au Canada. Or, « c’est une période où les gens sont assez vulnérables, où il est plus susceptible que l’on profite d’eux », dit-elle. Pressions financières, pressions d’ordre religieux, les méfaits possibles ne sont pas négligeables.

L’Association canadienne des doulas de fin de vie, End of Life Doula Association of Canada, recommande seulement 18 praticiennes au pays. « Elles ont chacune reçu une formation reconnue [au Collège Douglas], de l’expérience sur le terrain, leur dossier criminel a été vérifié et nous avons la conviction que ce sont de bonnes doulas », explique Jennifer Mallmes, une des directrices de l’Association. « C’est très peu », reconnaît-elle. Mais ce chiffre est appelé à croître. Quelque 130 personnes ont signifié leur désir d’être approuvées par l’Association, qui passera en revue leur candidature. « C’est tellement un travail éthiquement délicat, dit Jennifer Mallmes. Il faut veiller à ce que les gens soient bien prêts. »

Origine

Doula est un mot d’origine grecque utilisé pour désigner les femmes qui réconfortaient, conseillaient, aidaient d’autres femmes avant, pendant et après l’accouchement. Sa première utilisation pour désigner les accompagnants de fin de vie a été répertoriée en 2000, au cours d’une conférence à New York. Au Canada, les premiers ateliers de formation ont été donnés en 2011. Le terme de thanadoula a fait son apparition dans les dernières années, mais il ne fait pas l’unanimité, de nombreuses praticiennes préférant parler de « doulas de fin de vie ».

Source : Phenomenological exploration of death doulas in Saskatchewan, Carla Mitchell

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