Chronique

La folle journée de la famille Poehling

La photo qui accompagne cette chronique a été prise au Centre Bell samedi, à 21 h 48. Sur la glace, Ryan Poehling célèbre son troisième but de la soirée. Un tour du chapeau, à son premier match dans l’uniforme du Canadien.

Tout autour, c’est l’euphorie. Les spectateurs crient, chantent, lancent leurs casquettes. Même les fans des Leafs sont debout et applaudissent. Au cœur de cette foule en liesse, deux personnes s’enlacent. Une dame et un adolescent. Kris et Luke Poehling. La mère et le frère cadet de Ryan.

« C’était un moment incroyable, irréel », m’a confié Kris Poehling, qui se remettait à peine hier de la journée la plus folle de sa vie.

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Vendredi soir, Kris Poehling et son mari Tim écoutaient la télévision dans le salon de leur résidence, au Minnesota. Un match Rangers-Blue Jackets. Ils savaient qu’une victoire des Blue Jackets éliminerait le Canadien. Et que si ce scénario se confirmait, leur fils Ryan avait une chance de disputer sa première partie en carrière dans la LNH, le lendemain, à Montréal.

Le suspense s’est étiré. Les Rangers ont forcé la prolongation en marquant avec seulement sept secondes à jouer. Le duel s’est rendu aux tirs de barrage. Il était presque 22 h lorsque les Blue Jackets ont finalement gagné – et éliminé le Canadien.

Puis la course contre la montre a commencé. « Nous sommes allés voir sur l’internet s’il restait des billets d’avion pour Montréal », raconte Kris Poehling. La chance était avec eux. Ils ont pu en réserver cinq. Deux pour eux, trois pour les frères de Ryan.

La nuit a été très courte.

À 7 h, samedi matin, les Poehling embarquaient dans l’avion à l’aéroport de Minneapolis. À 13 h 30, ils arrivaient à Montréal, une ville dans laquelle ils n’avaient jamais mis les pieds. Pendant leur vol, le Canadien avait confirmé la présence de Ryan dans l’alignement pour le match contre les Maple Leafs.

Dans l’enthousiasme du moment, Ryan Poehling n’a pas demandé de billets de courtoisie à l’équipe. Son agent a pris les choses en main. Il a trouvé cinq sièges dans les rouges. Bien situés, en coin, dans une section remplie de fans… des Maple Leafs !

Au milieu de cette mer de maillots bleus, Luke Poehling, 16 ans, détonnait. Il portait un chandail rouge du Canadien marqué du nom et du numéro 25 de son frère.

Anne-Marie Courchesne assistait au match dans une loge, deux rangées plus haut. Elle a vite remarqué le jeune homme. « Je ne connaissais pas le nom Poehling sur son chandail. Je pensais que c’était juste le nom de famille du garçon. Après le premier but, l’annonceur a indiqué que le marqueur était Ryan Poehling. Je me suis dit : hey, c’est le même nom que sur le chandail ! »

Son conjoint, Patrick Bégin, connaissait Ryan Poehling. Après une recherche rapide sur son cellulaire, il a appris que l’espoir du Canadien avait trois frères hockeyeurs. Il a déduit que le jeune homme était probablement l’un d’eux. D’autant que personne avant le match ne connaissait encore le numéro que la recrue allait porter.

Quelques instants plus tard, Ryan Poehling comptait de nouveau. Patrick Bégin a remarqué que les spectateurs devant eux étaient plus animés que les autres. « Ils étaient excités, ils sautaient partout », raconte-t-il.

Kris Poehling était en effet en état de grâce. « J’étais contente pour Ryan. Il jouait vraiment bien. Lorsqu’il a marqué son premier but, j’ai senti que ça allait lui enlever de la pression. Mais là, un deuxième ? C’était tellement cool ! »

À 21 h 48, Ryan Poehling complétait son tour du chapeau. « C’était hallucinant, se souvient Patrick Bégin. Un ami et moi, nous nous sommes penchés par-dessus la vitre de la loge. Nous avons demandé au jeune homme s’il était le frère de Ryan. Il nous a répondu oui ! Alors ma blonde m’a dit : ‟Tasse-toi, je veux prendre une photo d’eux !” »

C’est cette photo qui accompagne la chronique. « Un moment d’épiphanie », s’exclame Anne-Marie Courchesne. Il y a beaucoup d’amour dans cette étreinte. Les Poehling sont tricotés serré ; Jack, Nick et Ryan ont joué sur la même ligne à l’Université d’État de St. Cloud. Ryan, 20 ans, habite d’ailleurs encore chez ses parents.

J’ai demandé à Kris Poehling si elle se souvenait de ce qu’elle avait ressenti au moment exact où la photo d’Anne-Marie Courchesne a été prise. « J’étais sonnée. Je me disais que ça ne se pouvait pas. Même les fans des Leafs autour de nous étaient contents ! »

Le match s’est rendu aux tirs de barrage. L’entraîneur-chef Claude Julien a décidé d’envoyer le héros de la soirée comme quatrième tireur. « J’étais vraiment surprise de le voir là, à son premier match dans la ligue. » Évidemment, Ryan Poehling a compté ce qui allait s’avérer être le but gagnant. Il a été nommé la première étoile. Il est devenu l’idole instantanée de Montréal.

« A-t-il déjà connu des matchs comme celui-là avant ?

– Oui, à l’école secondaire. Mais là, c’était à Montréal, avec le Canadien ! »

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Après la partie, la famille Poehling s’est réfugiée sous les gradins, dans le salon réservé aux proches des joueurs. Une première pour eux. Ryan est venu les rejoindre, souriant et fier dans son complet bleu. Dans ses mains, il tenait les rondelles de ses quatre buts. « Nous étions tous sous le choc. Ryan aussi. Nous flottions. Nous étions sur un nuage », raconte Kris Poehling.

L’adrénaline coulait encore dans leurs veines. Impensable de retourner tout de suite à l’hôtel. La famille est allée prendre une bouchée dans une pizzéria du centre-ville. Puis Ryan et ses frères aînés sont allés célébrer la victoire ailleurs. Charlie Lindgren, Victor Mete et Jesperi Kotkaniemi les ont rejoints. Le centre finlandais a d’ailleurs publié une photo de la soirée sur son compte Instagram.

Ce fut une autre nuit courte. Dimanche, la famille Poehling est repartie au Minnesota. Ryan prendra l’avion jeudi. Il restera avec les siens pour quelques semaines, avant de revenir cet été à Montréal.

« Je suis très fière de lui, dit Kris. C’est un très bon garçon. Une superbe personne. Il travaille très fort. Il mérite ce qui lui arrive.

– Dans vos rêves les plus fous, aviez-vous imaginé une journée comme celle-là ?

– Jamais. C’était mieux que tout. Nous n’étions jamais venus à Montréal. C’était le dernier match de la saison. L’équipe était éliminée, mais les fans étaient toujours là pour encourager les joueurs. C’était extraordinaire. Ce fut vraiment une superbe journée. »

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