Opinion pascale navarro

Sous le voile

Il y a longtemps que je réfléchis à propos du voile, et sur les différentes manifestations religieuses et culturelles provenant d’un monde que je n’habite pas. Par l’expérience de mes parents, qui ont vécu leur jeunesse au Maroc, et par leur fréquentation des femmes arabes dont plusieurs étaient voilées, j’ai appris que nous ne vivons pas tous de la même façon autour du globe. Quand je me suis découverte féministe, mes réflexions sur le voile et d’autres sujets se sont avérées complexes : et plus je réfléchissais, plus ça se compliquait.

Lors du débat sur le projet de loi 60, appelé aussi Chartre des valeurs québécoises, je n’étais pas d’accord avec les propositions, que je trouvais draconiennes et peu efficaces pour assurer une paix sociale. La commission Bouchard-Taylor me paraissait avoir donné de bonnes pistes, et des compromis qui faisaient avancer tout le monde. Ces recommandations n’ont pas été suivies. Avec les résultats qu’on connaît aujourd’hui.

Il faut tout recommencer ou presque.

Pourquoi se voiler ?

Au début de 2017, une Québécoise d’origine marocaine, la journaliste Kenza Bennis, a publié un essai, Les monologues du voile, Des Québécoises se racontent (éd. Robert Laffont), qui jette un éclairage salutaire sur ce débat. Pour son livre, publié ici et en plein débat sur la laïcité, la neutralité et les signes religieux, l’auteure a interviewé 83 femmes vivant au Québec, ayant différents rapports au voile. Bien qu’elle les ait principalement questionnées sur le voile qui couvre les cheveux et non le visage, elle développe une réflexion utile sur la complexité des enjeux et qui, selon moi, s’applique aussi au niqab ou à la burqa. L’auteure fait la démonstration que toutes ces femmes ont des raisons différentes de porter le foulard, et des expériences très variées les unes des autres. Par exemple, certaines le portent et l’enlèvent quelques années plus tard, d’autres sont très critiques mais se sentent plus loyales à leur famille si elles le portent, et rien ne dit qu’elles ne l’enlèveront pas un jour. Bref, elles ont beaucoup de choses à dire sur le sujet, sur les perceptions, la religion, la famille et la condition féminine en général.

Elles sont là.

Ce que j’ai apprécié surtout de ce livre, c’est qu’il adopte une perspective journalistique et féministe, selon laquelle ces femmes ont une pensée à elle, un libre arbitre, et ce faisant, l’auteure leur donne une voix. Elle s’adresse à des femmes autonomes.

Or dans le débat qui a cours actuellement sur la loi 62, je suis frappée par le peu d’égard qu’on accorde à la pensée de ces femmes qui portent la burqa ou le niqab. Comme lorsqu’on parle de nos enfants en croyant qu’ils n’entendent pas ou ne comprennent rien. Je ne dis pas qu’elles ne sont pas assujetties à des traditions ou à des croyances. Mais je suis mal à l’aise devant le fait que le débat les mette sur la sellette de cette manière, par la négative.

On me rétorquera que leur burqa ou leur niqab les efface déjà. Mais justement : faut-il en rajouter ?

Qui la loi vise-t-elle ?

Surtout que cette loi du visage découvert, élaborée au nom de ladite « neutralité » ou de la laïcité vise mal, atteignant la liberté de croyance. Résultat : un homme en kippa, en turban, des citoyens portant une croix, n’auront aucun problème à exposer leur religion. Et les femmes au visage couvert, elles, seraient les seules visées. Je suis bien sûr d’accord avec le fait qu’il faille se dévoiler pour des questions d’identification ou de sécurité, mais dans l’espace public, nous n’avons pas à intervenir dans leur choix.

Quant au crucifix, s’il a une valeur patrimoniale, c’est peut-être dans un musée que l’on devrait le déplacer, et l’entourer d’explications sur l’histoire du Québec. Il n’a pas sa place sur les murs d’un parlement en train de légiférer sur la « neutralité ».

Je conçois tout à fait que la burqa et le niqab puissent être instruments d’oppression. Et ce ne sont pas des vêtements comme les autres, c’est évident. Mais en stigmatisant les femmes qui les portent, nous leur imposons nos réflexions, notre parcours et notre histoire, dans un relent colonialiste qui me paraît dépassé et en contradiction avec une posture féministe. N’avons-nous pas d’autres moyens de proposer nos valeurs ?

Il n’y a pas de chemin tout tracé pour trouver sa liberté. On peut défendre la liberté des femmes, s’opposer aux dogmes religieux, sans que cela ne tombe sur la tête de quelques-unes qui, soit par obligation, soit par choix, soit par provocation, se voilent.

Je choisis d’autres façons de les aider à combattre le patriarcat. Les exclure de ma société n’en fait pas partie.

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