Télévision Hommage à Bleu nuit

« Phénomène culturel clandestin »

Chaque recul de la censure rappelle des émois à ceux qui l’ont vécue. Ainsi, la génération qui a ri de ses parents parce qu’ils n’avaient que les publicités de sous-vêtements du catalogue Sears pour s’émoustiller pourra faire rire d’elle par celle qui a aujourd’hui accès au catalogue universel des fantasmes et perversions par un simple clic sur l’internet.

Difficile à croire pour les jeunes qui sont nés au début des années 2000 et qui fréquentent des sites comme YouPorn en cette période de puberté, mais il n’y a pas si longtemps, regarder des « films de fesses » était une quête semée d’embûches. 

Jusqu’à l’arrivée de Bleu nuit, en 1986, année de la création de Télévision Quatre Saisons. D’un coup, l’érotisme est entré dans les foyers, pour un rendez-vous régulier, tous les samedis soir, pendant 20 ans, prenant de rares pauses lors de la diffusion spéciale du Téléthon des étoiles

« Mythologie locale », « phénomène culturel clandestin », « imaginaire commun » : Alexandre Fontaine Rousseau n’y va pas de main morte pour décrire l’impact de Bleu nuit à la télévision québécoise, dans la préface du collectif Bleu nuit – Histoire d’une cinéphilie nocturne. C’est qu’on apprend, en lisant ce livre qui va bien au-delà de la simple nostalgie, que nous n’étions pas seuls à découvrir, non sans grands bouleversements, la sexualité par l’entremise de cette émission.

SOFTCORE PORN

Bleu nuit présentait ce qu’on appelle aujourd’hui du softcore porn (et que RBO avait rebaptisé « érotico-mocheton »), des films érotiques qui n’étaient pas véritablement pornos, la plupart cotés 6 ou 7 dans le guide télé, et dont l’unique qualité pour des ados en plein bouleversement hormonal consistait à montrer de la peau et des actes sexuels à l’intérieur de scénarios bancals et souvent ridicules.

C’est ainsi que le magnétoscope est devenu le meilleur ami des plus mordus, qui pouvaient aller droit au but avec le piton fast-forward

Il faut dire qu’avec des titres étonnants comme Les petites culottes de la Révolution ou On se calme et on boit frais à Saint-Tropez, le pire et le meilleur forniquaient joyeusement.

N’empêche, avant l’internet, à une époque où les films « cochons » étaient dissimulés dans une section spéciale du vidéoclub interdite aux moins de 18 ans, Bleu nuit « faisait la job », comme on dit. Même si cela obligeait à bien des contorsions pour éviter d’être pincés sur le fait par les parents. Tout le monde a vu au moins un film coquin à Bleu nuit, et l’auteure de ses lignes se souvient encore du choc, à 13 ans, de Gwendoline, film « d’aventures » de Just Jaeckin (vu tout à fait par hasard, on le jure).

Il ne faudrait pas oublier qu’en 1986, la crise du sida atteignait son point culminant et, dans les cours de FPS (Formation personnelle et sociale), on parlait aux ados naturellement obsédés de maladies vénériennes et de condom, jamais d’érotisme.

Une menace qui s’évaporait tous les samedis soir face à Bleu nuit, là où les gens baisaient avec bonheur, sans capote, et parfois même sans enlever leurs pantalons…

Éric Falardeau et Simon Laperrière ont réuni dans ce livre des fans des deux sexes, décomplexés et érudits – de véritables geeks, souvent – pour radiographier sérieusement le phénomène. Les témoignages, aussi touchants que drôles, se recoupent. On trouve un guide respectueux de ces films méprisés, des entrevues avec Guy et Claude Fournier, Louise Cousineau, Brigitte Lahaie, ainsi que la programmation complète de Bleu nuit entre 1986 et 2007. Les auteurs sont même allés jusqu’à recréer une vieille grille télé pour la table des matières.

Bleu nuit – Histoire d’une cinéphilie nocturne, appartient à la catégorie des livres qu’on n’espérait pas, mais qui, une fois entre les mains du lecteur, procure énormément de plaisir, à la hauteur de son sujet.

Bleu nuit –  Histoire d’une cinéphilie nocturne

Collectif sous la direction d’Éric Falardeau et de Simon Laperrière

Éditions Somme toute, 327 pages

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