Éditorial : Autochtones

Négocier sans réserve

Selon le rapport du coroner* sur les suicides à Uashat Mak Mani-Utenam, le « problème majeur de base réside dans le régime d’apartheid dans lequel les autochtones sont plongés depuis 150 ans sinon plus ». Il faut « mettre fin aux réserves », recommande-t-il.

Même si cette tache rouge sang souille l’histoire canadienne, il est plus facile de la dénoncer que de trouver un nouveau modèle. Un rapport doit proposer des solutions applicables. Le coroner l’a fait pour l’aide en santé mentale, qui devrait être à la fois plus importante et plus adaptée aux langues et cultures de ces communautés de la Côte-Nord. Mais pour les réserves, sa recommandation arrive un peu tard dans le débat…

Le diagnostic doit être raffiné. Le suicide existe hors des réserves, et a contrario, il peut rester faible sur les réserves.

Au Québec, le quart des autochtones ne vivent pas dans une réserve, et au Canada, c’est la moitié d’entre eux. Cela ne les empêche toutefois pas de ruminer plus de pensées suicidaires que les autres Canadiens, comme vient de le révéler Statistique Canada**.

Et dans les réserves, le taux de suicide varie immensément entre les nations et les langues (il y en a plus de 50 au pays). En Colombie-Britannique, le suicide est « pratiquement inexistant » dans certaines réserves, alors que dans d’autres, il dépasse le 800 fois la moyenne nationale. Au-delà des conditions socioéconomiques, le chercheur Michael Chandler a établi un autre lien : la « continuité culturelle ». L’autonomie politique et la protection de la culture seraient associées à un plus faible taux de suicide. Cet exercice n’a pas été fait pour le Québec, mais le taux de suicide y varie aussi. Il atteint un niveau alarmant chez les Inuits, alors qu’il serait plus faible chez les Mohawks et les Cris.

Pour comprendre les facteurs de risque, il n’est d’ailleurs pas interdit de déterrer quelques rapports comme ceux de la commission royale du Parlement sur le suicide (1995), de Santé Canada sur la prévention du suicide (2002) ou encore du Centre de la collaboration de la santé autochtone (2011).

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La solution aussi est un peu courte.

L’infantilisante Loi sur les Indiens est-elle un obstacle ? Bien sûr ! Le gouvernement de Trudeau père le reconnaissait déjà en 1969 dans son Livre blanc. Comme lui, ses successeurs ont promis de s’attaquer à cet héritage colonial. Stephen Harper voulait la modifier, et Justin Trudeau souhaite son abrogation à long terme.

Si cette loi reste malgré tout en vigueur, c’est parce qu’il n’y a pas de consensus sur le nouveau modèle à adopter. Le désaccord existe autant chez les politiciens que chez les Premières Nations.

Certains autochtones craignent qu’en abolissant les réserves, Ottawa abandonne ses responsabilités et dilue leur culture dans la mosaïque canadienne.

Et cette méfiance augmente chaque fois qu’on ne les consulte pas avant de proposer une réforme.

À cela s’ajoute la volonté de conserver certains acquis. Malgré ses ignobles défauts, la Loi offre un certain « sanctuaire culturel », a déjà raconté à L’actualité le chef des Premières Nations du Québec, Ghislain Picard. Ce sens de la communauté semble d’ailleurs réduire le risque de suicide.

Que faire alors ? Différentes solutions existent. Par exemple, il y a les longues négociations de nation à nation. La réforme progressive de la Loi sur les Indiens. Ou encore la réouverture de la Constitution. C’est ce qu’a proposé l’Assemblée des Premières Nations du Canada en décembre dernier, afin que ses membres obtiennent le statut de gouvernement du provincial et du fédéral.

Malgré les bonnes intentions du coroner, le débat sur la Loi des Indiens n’a donc pas besoin d’être lancé. Il flotte déjà en apesanteur depuis quelques décennies. Il est plutôt temps de le ramener sur terre. Sur le terrain des négociations politiques sérieuses.

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