Élections québécoises

Nous entrons dans un monde nouveau

Les indices ne trompent pas : une pluie d’annonces du gouvernement Couillard sur l’éducation, la décision de plusieurs députés de quitter la vie politique. Cette espèce de fébrilité dans cette semaine de rentrée politique hivernale nous dit quelque chose : la campagne électorale vient de commencer.

L’idée de tenir les élections à date fixe avait pour but de dépolitiser le processus électoral en privant le premier ministre de son pouvoir de déterminer le déclenchement des élections en fonction de calculs partisans. La mesure a eu l’effet contraire. Le fait que la date soit connue, le 1er octobre 2018, a eu pour conséquence de pousser les partis, et encore plus celui qui détient le pouvoir, à structurer très tôt leur action en fonction de cette date butoir et ainsi de rendre la vie politique encore plus partisane.

Mais on voit déjà, avec les premiers signaux politiques de cette semaine, à quel point la montée de la Coalition avenir Québec dans les sondages et le fait qu’elle ait de bonnes chances de former le prochain gouvernement représente un changement profond.

Nous sortons du cycle politique amorcé il y a 50 ans et nous entrons dans un monde nouveau où les acteurs, les thèmes, les lignes de fracture et les rapports de force ne seront plus les mêmes.

On le voit par exemple à la décision de trois parlementaires péquistes, Agnès Maltais, Nicole Léger et Alexandre Cloutier, de tirer leur révérence et ne pas se représenter aux prochaines élections. Ces annonces ont mis brièvement le Parti québécois dans l’embarras, mais on sait que plusieurs députés libéraux sont en réflexion et qu’on assistera, là aussi, à de nombreux départs.

Au-delà des considérations personnelles, ces départs ont des racines démographiques et politiques qui sont des reflets du fait que nous entrons dans un monde nouveau. D’abord, le vieillissement de la classe politique – l’âge moyen des membres de l’Assemblée nationale est d’environ 55 ans, et plus de la moitié d’entre eux en étaient au moins à leur troisième mandat. On assiste donc, d’une certaine façon, à un changement de garde souhaitable. Ensuite, il y a des considérations politiques : le risque, pour bien des députés libéraux et péquistes, de ne pas être réélu, et la forte probabilité qu’ils se retrouvent, pour les libéraux, sur les banquettes de l’opposition, et pour les péquistes, sur celles de la deuxième opposition.

Mais il est clair que l’impact le plus important de ce changement de paradigme, c’est que, pour la première fois depuis 1970, les élections ne porteront pas sur l’avenir constitutionnel du Québec ni même sur la question nationale, puisque la bataille pour le pouvoir se fera entre deux partis opposés à l’indépendance, les libéraux, fédéralistes, et les caquistes, post-souverainistes. Cela bouscule en outre les règles traditionnelles de l’alternance en faisant en sorte que les Québécois opposés à l’indépendance, surtout chez les francophones, ne sont plus prisonniers du PLQ.

Une parenthèse. L’idée de la souveraineté n’est pas morte, mais le débat se fait en vase clos, entre souverainistes. Il ne porte pas, comme on le dit souvent, entre les plus pressés qui veulent réaliser la souveraineté et les craintifs qui veulent reporter l’échéance. Il porte plutôt sur deux façons de composer avec l’impasse de l’option, puisque le résultat serait le même – un report du référendum et donc pas de victoire de la souveraineté, ou encore un référendum rapide voué à l’échec et donc pas plus de victoire. Fin de la parenthèse.

Mais curieusement, le fait que la ligne de fracture entre fédéralisme et indépendance se soit estompée n’a pas ouvert la porte, comme presque partout ailleurs, à une opposition entre des visions conservatrices ou progressistes de la société.

Les deux partis dominants se trouvent plutôt à droite de l’échiquier politique, surtout sur le thème qui sert le plus souvent de révélateur, le rôle de l’État et la rigueur dans la gestion des finances publiques. N’oublions pas qu’aux dernières élections, c’était le parti de François Legault qui se distinguait par sa volonté de couper et de réduire la taille de l’État, un thème qu’il peut difficilement utiliser maintenant après les années d’austérité libérale. Mais comme la CAQ recueille 36 % des intentions de vote et le PLQ 32 %, selon le dernier sondage Léger, cela signifie que 68 % des Québécois, plus des deux tiers, semblent adhérer à une vision relativement conservatrice, tandis que la social-démocratie du PQ et l’anticapitalisme de Québec solidaire sont nettement minoritaires.

La ligne de fracture plus déterminante n’est pas là. Ce qui divise la société québécoise et la définit, c’est ce qu’on appelle la question identitaire, les inquiétudes des francophones sur leur pérennité, leurs craintes par rapport à l’immigration, leurs réticences aux accommodements religieux, un mode d’expression du nationalisme québécois libéré par l’absence de débat sur la souveraineté. C’est le principal terrain d’opposition entre les libéraux – du même côté que Québec solidaire à cet égard – et les caquistes, dont le maniement de ce thème identitaire est devenu la marque de commerce. Ce clivage affecte beaucoup le PQ, déchiré entre sa tradition d’inclusion sociale-démocrate, et le nationalisme ethnocentriste. C’est sur cette question que le malaise était le plus grand entre Alexandre Cloutier et son chef Jean-François Lisée.

Ce déplacement des plaques tectoniques peut toutefois avoir des effets positifs, en favorisant l’émergence de nouveaux thèmes politiques. On l’a vu cette semaine avec la place qu’a prise l’éducation dans le débat public, les annonces du ministre Sébastien Proulx – les fonds pour la rénovation des écoles, la politique 0-8 ans –, peut-être réchauffées, mais qui montraient que le gouvernement libéral en faisait une priorité. Mais la CAQ est elle aussi intervenue sur le thème de l’éducation, en revenant avec l’abolition des commissions scolaires, tout comme le PQ, avec une intervention de Véronique Hivon prônant un renforcement des PME plutôt que le développement des maternelles à 4 ans proposé par la CAQ. Cela nous montre que, pour la première fois depuis des lustres, l’éducation pourrait être un thème électoral central. Ce serait un grand progrès.

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