Chroniques gala de l’adisq

Quelques fausses notes se sont fait entendre lors de la fête de la musique québécoise, dimanche, et sur les réseaux sociaux. Nos chroniqueurs reviennent sur le Gala de l’ADISQ.

Chronique

« C’est qui, elle ? »

Le public québécois, toujours prompt à clamer sa fierté pour ses artistes, aurait dû connaître tous ceux qui ont foulé la scène du Gala de l’ADISQ, dimanche soir. Or, ce n’est pas le cas. Des téléspectateurs ont passé leur soirée à se dire : « C’est qui, eux autres ? » en apercevant 2Frères. Ou alors : « C’est qui, elle ? » quand ils ont vu Safia Nolin aller cueillir le Félix de la révélation de l’année.

Je ferai preuve de franchise et de lucidité et je préciserai que certains ont plutôt dit : « C’est qui, cette grosse mal habillée ? » En tout cas, c’est comme ça que c’est apparu sur les réseaux sociaux dans les heures qui ont suivi le gala.

En mars dernier, j’ai écrit une chronique sur Jenny Beavan, la créatrice des costumes du film Mad Max, qui était venue chercher son Oscar flanquée d’une paire de jeans et d’un perfecto de cuir. La gagnante a eu droit au regard méprisant et moqueur de certains collègues assis dans la salle. « C’est qui, cette grosse mal habillée ? » se sont-ils sans doute demandé.

Je vais me répéter, mais le regard que nous posons sur les femmes « mal habillées » et au physique « hors standard » est bourré de préjugés. Il est surtout fait de sexisme et de méchanceté. Lors d’un gala comme celui de l’ADISQ, les réseaux sociaux, Twitter particulièrement, deviennent des baromètres à la fois utiles et désespérants. Ce que j’ai pu y lire était horrifiant.

Comment expliquer que personne (ou presque) n’ait critiqué l’apparence vestimentaire de Plume Latraverse, de Jean Leloup, de Fred Fortin et des gars des Cowboys Fringants, mais que Safia Nolin ait été la cible des pires vacheries ? 

« Faque la découverte de l’année 2016 à l’ADISQ est un gros truc de vidange ? » a publié sur Twitter un imbécile sans courage, protégé par un surnom.

Heureusement, beaucoup de fans ont fait part de leur bonheur en entendant Safia Nolin lancer un message féministe aux filles en recevant son prix. « Les filles, vous avez le droit de faire ce que vous voulez. Faire de la musique, faire des jobs de gars, on s’en crisse », a-t-elle dit. Mais bon, cela n’a pas convaincu toutes les féministes à l’écoute du gala. « Si Safia Nolin est une icône féministe, je rends ma carte de membre », a écrit la chroniqueuse Lise Ravary sur Facebook.

Ceux qui ont publié des insanités au sujet de Safia Nolin ne connaissent pas son parcours, c’est évident. À ceux-là, je précise qu’elle a été élevée par une mère seule en compagnie de son frère et de sa sœur que la chanteuse a gentiment qualifiée de « grosse conne » dimanche soir. Elle doit ses origines arabes à son père, qui s’est poussé alors qu’elle était jeune.

C’est à Limoilou, dans la basse-ville de Québec, que Safia a grandi. Confrontée à des résultats scolaires moyens et à une dose quotidienne et insupportable d’intimidation de la part de ses camarades, elle a quitté l’école à l’âge de 15 ans.

En 2012, sa vie a connu un essor sans précédent alors qu’elle a remporté le prix de la SOCAN au Festival international de la chanson de Granby. Aidée par des gens du milieu, elle a pu faire Limoilou, un disque composé de 13 chansons qui sont « comme des traces de pas dans la neige, qui se languissent du dégel », comme l’a écrit un critique du réputé magazine Les Inrocks lors de sa parution, en septembre 2015.

Dans un portrait que lui consacrait ma collègue Émilie Côté au printemps de la même année, Safia Nolin se mettait à nu, comme toujours. « Quand je suis arrivée à Granby, j’avais zéro ami et j’étais crissement weird et gênée. On avait des ateliers d’improvisation de groupe le matin et j’allais vomir dans les toilettes », a raconté celle qui fait encore et toujours des crises de panique.

« Comme un rêve »

Comment réagit la principale intéressée à ces commentaires aussi enflammés que divisés qui sont publiés depuis dimanche soir sur les réseaux sociaux ? Je lui en ai parlé hier après-midi. Sans doute pour ne pas altérer le « plus beau moment de [sa] vie », elle n’a pas souhaité revenir outre mesure sur ces mots durs qui lui parviennent comme des flèches en plein cœur. « Vous savez, ces messages, on vient les écrire directement sur ma page », s’est-elle contentée de dire.

Safia Nolin préfère conserver la partie rose de cette soirée. « J’ai gagné un Félix, j’ai chanté avec les Sœurs Boulay et j’ai rencontré Céline en coulisses. Elle m’a dit deux fois qu’elle m’aimait. Je n’en reviens pas. C’est comme un rêve, c’est comme si j’avais fumé un gros bat », dit celle qui, après un an et demi de sobriété, s’est contentée de quelques cupcakes dimanche soir lors du party qui a suivi le gala.

Dimanche soir, en recevant son prix, Mélanie Boulay a demandé au public de ne pas juger les gagnants sur les deux minutes de remerciements auxquels ils ont droit, mais plutôt de les évaluer sur ce qu’ils font de mieux : des chansons. Elle a tellement raison. En tout cas, si Safia Nolin a déplu à certains téléspectateurs dimanche, elle a donné le goût à d’autres de découvrir sa musique. Sa chanson La laideur était en tête des ventes sur iTunes hier dans la section Musique francophone.

Imaginez un instant, Safia Nolin a passé des années à tenter de quitter la misère qu’elle a toujours connue. Elle vit le plus beau soir de sa vie et il y a des tarlas et des tarlaises pour la replonger là-dedans.

La laideur n’est pas toujours celle que l’on croit reconnaître. Elle se terre parfois au fond de gens qui, confortablement installés devant leur télé, déversent leur fiel sur Twitter.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.