Opinion : Défense nationale

Reporter l’achat d’équipement a un coût

Le budget du ministre Morneau est plutôt silencieux en matière de défense nationale, s’abritant derrière l’engagement d’une nouvelle politique de défense.

Mais le budget de 2017 ne nous en apprendra pas davantage. Plus on retarde les commandes d’équipement indispensable, plus on se met à la merci tant d’une reprise économique incertaine que du dilemme entre beurre et canon. Il est clair qu’au fil des quatre prochaines années la dette publique augmentera. À l’orée des années 2020-2025, le gouvernement sera doublement inquiet face aux coûts montants des navires de combat et des autres immobilisations militaires au moment où il souhaiterait être en mesure de réduire le déficit budgétaire. Il voudra retarder davantage toute décision, même les plus modestes que sa nouvelle politique de défense lui suggérera immanquablement.

Le gouvernement a invoqué l’incurie du gouvernement précédent et le gaspillage des fonds non dépensés. Cela justifie-t-il des reports additionnels sous prétexte de trouver de nouvelles façons de gérer le problème ?

Sur le plan financier, on risque de se retrouver en 2025 avec des montants requis exorbitants pour préserver un minimum de capacité.

Nous ne disposerons pas des fonds nécessaires au moment où nous en aurons besoin. Ces besoins existent déjà et leurs coûts ne cesseront de croître. Les reports des conservateurs ont coûté 10 milliards. L’’augmentation de 3 % par an du budget de la défense à partir de 2017 ne va pas changer les choses.

Le débat sur la défense aujourd’hui achoppe sur deux plans et le gouvernement se doit de corriger le tir. Il y a d’abord la question du coût des immobilisations en général et la façon dont il est présenté au public et, presque plus important, un faux débat sur le pourquoi de la défense et de chaque équipement comme si on était chez Walmart.

S’agissant des coûts, pour les navires de combat de surface, les chiffres fusent de toutes parts. On parle de 105 milliards de dollars pour 15 navires – plus que le PNB de certains pays ! Le Vérificateur général du Canada a cherché à établir une projection sur 40 ans du coût du cycle de vie du matériel. Il est pratiquement impossible de donner une réponse précise, surtout si les paramètres d’évaluation ont changé par rapport à la ligne de base originelle, par exemple en ajoutant les salaires, le carburant et d’autres éléments qui fluctuent au gré des besoins et des crises. À la limite, le chiffre de 105 milliards pourrait être le minimum. Il en va de même des avions chasseurs. Sur 42 ans, partant de 9 milliards de dollars, qui est le prix d’achat, on passe au minimum à 42 milliards. Ces chiffres ne signifient rien.

TROIS OCÉANS

Essentiellement, il ne sert à rien d’essayer d’expliquer le coût d’un système d’armement hors contexte. Ce que le Canadien moyen doit comprendre et que le gouvernement doit expliquer, c’est l’ensemble des besoins des Forces armées canadiennes, les effets recherchés et la contribution de l’interarmisation des forces des trois armes, marine, terre, aviation. Aucun Canadien ne doit être convaincu que le pays qui a la plus longue ligne de côtes au monde sur trois océans a besoin de navires de combat.

Il est étonnant de devoir rappeler que le point de départ, c’est l’articulation d’une politique de défense en fonction de nos priorités et des besoins qui en découlent, autant que possible sur la durée. Les immobilisations viennent en aval, pas en amont. On peut s’inspirer de ce que d’autres pays ont fait – la France, la Grande-Bretagne et surtout l’Australie ont récemment énoncé leurs politiques de défense respectives. Le gouvernement a raison de vouloir rectifier les erreurs du passé et de régler les processus et étapes d’acquisition mais cela doit se faire dans la continuité – dont le choix de construire au Canada et créer de l’emploi, ou à l’étranger pour réduire les coûts – , et non sur la base de reports de décisions. On a déjà dénoncé l’appauvrissement au cours des 10 dernières années des capacités de programmation et de gestion des différents ministères et agences responsables des acquisitions, dont la Défense, les Travaux publics et même le Conseil du trésor. Différer davantage ne ferait qu’empirer les choses.

Par-delà les risques financiers et de gestion des reports, sur le plan de la défense du pays, ceux-ci pourraient s’avérer dangereux, tout particulièrement dans le contexte stratégique actuel. Nous sommes loin des « dividendes de la paix » de la chute du mur de Berlin. Que nos F-18 puissent encore voler pendant quelques années est indéniable. Ces appareils sont aussi bons que leurs pilotes. Mais d’ici cinq ans, ils ne pourront qu’effectuer des missions de défense aérienne, pas des missions de bombardement comme ce fut le cas contre Daesh. Quand on arrive au point de louer un navire de ravitaillement au Chili parce qu’un des nôtres a été retiré du service et que le second a flambé en mer, comme on dit, « cela mine mal ».

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