Livre

La naissance du « nouveau » père

Il n’y a pas si longtemps, des hôpitaux pouvaient appeler la police pour sortir les pères des salles d’accouchement. Ce qui pouvait donner lieu à des scènes surréelles : les policiers devaient revêtir des combinaisons stériles pour arrêter un homme dont le seul délit était de vouloir être présent à la naissance de son enfant.

L’anecdote relatée ci-dessus se trouve dans De la naissance et des pères, essai de l’historienne Andrée Rivard qui s’intéresse à l’exclusion puis à la réintégration des papas dans les salles d’accouchement du Québec entre 1950 et les années 80. Son livre raconte une espèce de double révolution, puisque c’est le retour en grâce de l’accouchement naturel qui a favorisé celui des pères au chevet des femmes.

Le « retour » des pères ? Oui, c’est bien d’un « retour » qu’il est question, car avant le tournant des années 50, la majorité des Québécois naissaient à la maison, et le père pouvait être présent. « Du temps où ça se passait à domicile, les pères ont probablement été plus présents durant les accouchements que ce que la mémoire collective a pu en retenir », estime l’historienne.

Les médecins se plaignaient ouvertement de se sentir observés par les proches, dont le mari, lorsqu’ils officiaient à domicile. « À partir du moment où ça se passe à l’hôpital, les pères sont radicalement exclus », raconte Andrée Rivard. Ce qui faisait l’affaire des médecins, « qui n’en voulaient pas », et des religieuses à la tête de plusieurs hôpitaux à l’époque…

Du père absent au père policier

Pendant que, au Québec, les accouchements deviennent « hypermédicalisés » (les femmes accouchaient carrément sous anesthésie), des médecins américains puis européens commencent à préconiser une « nouvelle méthode » : l’accouchement naturel. Pour lequel la participation du papa était souhaitable. « Ce qui a aidé à convaincre les médecins d’accepter les pères en salle d’accouchement, c’est qu’on leur a trouvé une utilité », souligne Andrée Rivard.

En gros, le rôle du papa était de faire la police :  il devait rappeler à la mère les positions à prendre et les consignes médicales.

« On a voulu faire des pères des alliés des médecins pour faire en sorte que la femme fasse vraiment ce qu’on attendait d’elle. »

— Andrée Rivard, historienne

Ce discours sur le père « policier » a été propagé longtemps. Même dans son ouvrage novateur Futur père : votre rôle durant la grossesse et l’accouchement, Yvette Pratte-Marchessault positionne le père dans la structure qui sert à encadrer la femme en couches…

Andrée Rivard croit d’ailleurs que cette mentalité voulant que le rôle du père soit d’abord de calmer la mère a persisté jusque dans les années 80. « Je pense que ça reste implicite, dit encore l’historienne. C’est un peu ce que les intervenants médicaux attendent des pères, mais sans utiliser ces mots. » N’est-il pas ironique qu’après avoir eux-mêmes risqué d’être expulsés des salles d’accouchement par la police, ce soit en jouant ce rôle que les papas ont pu les intégrer massivement ?

L’ouvrage d’Andrée Rivard montre aussi combien la société a été ambivalente quant à la participation du papa dans l’expérience de la naissance et dans les soins à donner aux bébés. « On n’encourageait pas les pères à en faire trop parce que c’était un rôle [jugé] trop maternel dans les années 50 et 60 », dit l’historienne. S’occuper d’un jeune enfant n’était pas perçu comme une chose virile. On voulait que le père aide la mère, mais seulement de manière ponctuelle…

Participer aux soins, c’était passer pour un « laveux de couches », comme en témoigne un homme dans le livre, et assister à l’accouchement ne correspondait pas à ce que la société associait à la masculinité. Les premiers hommes qui se sont impliqués ont dû commettre des « transgressions », « passer par-dessus des barrières », souligne l’historienne.

« Ce qu’il faut retenir, c’est que tout au long du XXsiècle, les pères ont témoigné de l’intérêt à être présents à l’accouchement. Les pressions sociales qui sont arrivées à différents moments les ont soit exclus, soit obligés à être présents, résume l’historienne. J’aime bien que les gens soient conscients de cette histoire pour être capables d’être plus libres. »

De la naissance et des pères Andrée Rivard Éditions du remue-ménage 189 pages

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