Réflexions sur la science et M. Arruda

Deux ans de pandémie devraient nous avoir appris qu’à peu près tout le monde s’est trompé au moins une fois en interrogeant sa boule de cristal ; experts inclus. Il était à peu près certain que le DHoracio Arruda allait trébucher dans son chemin de croix et qu’éventuellement, il ne pourrait plus se relever. Voilà qui règle le cas d’une prédiction assez facile, surtout a posteriori. Et le triomphe des prédictions est toujours a posteriori.

Ma réflexion concerne la science, puisqu’on a beaucoup épilogué sur LA science dans les derniers mois et qu’on a reproché à M. Arruda de ne pas l’écouter. Or, de quelle science parle-t-on au juste ? Pour plusieurs, la science se résume à une collection d’articles. Ainsi, il est tentant de croire que nous avons LA science en main si nous avons un article scientifique entre les mains, ou que nous consommons 10 articles par jour depuis deux ans.

Je vous donne quelques éléments à garder en tête.

Premièrement, la science est une méthode et non une collection d’articles. Cette méthode repose en grande partie sur la nécessité de tout mettre en œuvre pour trouver la faille qui invalidera nos hypothèses (ou nos opinions).

La méthode scientifique ne s’acquiert pas seulement en lisant des articles. Lire est une chose, analyser en est une autre. On ne forme pas des étudiants diplômés en les faisant lire jusqu’à plus soif : ils doivent analyser de façon critique, discuter, présenter des arguments et surtout accepter avec reconnaissance quand ils ont tort. C’est en se trompant qu’on apprend, pas en ayant raison.

La lecture critique d’un article scientifique est un processus laborieux. Lorsque je révise un article, je peux y passer une semaine à raison de quelques heures par jour. Or, depuis le début de la pandémie, il y a une prolifération sans précédent du nombre d’articles qui n’ont pas été encore révisés. Si je peux comprendre l’impératif d’avoir rapidement des données en période de crise, ça peut aussi être un sacré problème. Même l’expert le plus chevronné ne peut avoir le temps de réviser en profondeur ne serait-ce que cinq publications par jour. Plusieurs articles ont tendance à faire dire à leurs données ce qu’elles ne permettent pas de dire. Un titre pompeux par-ci, un résumé présomptueux par-là, et on se retrouve avec un article qui fait le tour de la planète 10 fois en 24 heures avant que quelqu’un émette les nuances nécessaires qui se perdent dans un océan de certitudes compactes.

Toujours le doute

J’ai passé ma vie « utile » en science depuis 1981 : microbiologie, immunologie (Ph. D.), contrôle des infections, principe de précaution. Je ne fais à peu près que ça. Après 30 ans à enseigner le même cours d’immunologie, je passe encore des heures à revoir la matière avant chaque cours pour être sûr que je ne me trompe pas et que je ne dis pas de conneries. Voir si de nouvelles connaissances ont été publiées dans les derniers mois. À chaque cours j’apprends encore ; un étudiant me pose une question et je réalise qu’il y a encore une partie de la matière que je n’ai pas tout à fait maîtrisée. Je me replonge dans l’étude. Je me questionne, me mets en doute. Et j’apprends encore. Ce n’est pas une question de mémoire, c’est une question de doute qui va main dans la main avec la méthode scientifique.

Je me réveille régulièrement la nuit pour bercer des doutes : ai-je été clair ? Aurais-je pu faire mieux ? Suis-je dans le champ ? Et je me pose toujours cette question que tout le monde devrait se poser : en quoi suis-je expert au juste ? C’est une question qui m’accompagne depuis plus de 20 mois. On n’est jamais expert en tout et parfois on n’est expert en presque rien.

Alors, lorsque j’« entends » une brochette de gens qui pérorent sur des sujets complexes avec des certitudes à faire péter la grenouille de la fable parce qu’ils ont beaucoup lu, je m’étonne.

Comme pour l’idée qu’on peut magasiner ses experts en fonction de la vérité qu’on désire ou des certitudes qu’on a cousues dans son baluchon. Comme si, dans des domaines complexes, il s’agissait de choisir simplement des bobettes en coton ou en polyester parce l’une est plus douce que l’autre.

Évidemment, il y a des experts plus crédibles que d’autres. Mais cette crédibilité doit être assise sur des bases scientifiques et non seulement sur des habiletés oratoires.

Ce qui me ramène à M. Arruda. Je ne me prononce pas sur ses laborieuses explications occasionnelles qui, moi aussi, m’ont fait sourciller. J’admets l’importance d’être indépendant, d’avoir un discours clair, de communiquer solidement et surtout d’avoir la confiance de la population derrière soi. Pour plusieurs, cette confiance était pour le moins chancelante. Mais il m’apparaît discutable de lui avoir enlevé la confiance sur la base de LA science. Il se publie des centaines d’articles scientifiques par semaine. Trouvez un sujet et vous pourrez l’appuyer ou le réfuter au gré de la façon dont vous faites vos recherches.

Je n’ai jamais douté que les affirmations de M. Arruda étaient appuyées par des données scientifiques. Il y avait une équipe d’experts derrière lui. Est-ce que toutes les ressources disponibles ont été consultées comme elles auraient dû l’être ? Je ne saurais le dire. Je peux faire le reproche d’un manque de communication et d’explication des recommandations, ce qui a précipité les doutes légitimes non seulement de la population, mais des spécialistes externes. Certains se sont insérés dans la brèche, ce qui a contribué à miner un peu plus la solidité de l’équipe en place et laissait croire à une science en circuit fermé.

Évidemment, on peut contester les recommandations. Mais je doute que LA science ait été ignorée. S’il n’y avait qu’une science de la pandémie, tous les pays l’auraient appliquée depuis des mois et tout le monde serait théoriquement au même point à un moment ou à un autre au gré des vagues. Or, ce n’est pas le cas.

On pouvait préférer l’avis de certains experts à celui du DArruda et de son équipe. C’est sain : c’est ce qui permet à la science de ne pas se scléroser dans des certitudes. Mais, normalement, tous les experts puisent à même la littérature scientifique. C’est parfois l’interprétation qu’ils en font qui distingue les experts dans un même domaine. Sur plusieurs enjeux, les avis des experts du gouvernement pouvaient être discutés. Ils le seront encore, je l’espère : la pandémie n’est pas terminée. Le nouveau directeur a du pain sur la planche.

Tout le monde veut avoir raison ; c’est ne pas vouloir avoir tort qui est l’écueil à éviter en science. Et pour ça, il faut de l’humilité. Pour tous.

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