CARNET D’ENDORPHINES

L’effet Diderot

On dit que la vie de Diderot, l’auteur de la célèbre encyclopédie, a changé le jour où il a remplacé sa vieille robe de chambre pour une neuve, évidemment beaucoup plus belle. Il en était fort heureux, jusqu’à ce qu’il se rende compte que sa belle robe de chambre avait un effet pervers ; du coup, tout le reste de sa garde-robe lui paraissait laid, usé, désuet.

Pour ceux qui ont déjà rénové une maison, vous savez exactement de quoi je parle. On croit qu’on ne fait que repeindre les armoires de la cuisine, et une fois qu’on les voit pimpantes et fraîches, c’est toute la maison qui y passe.

Le sport, c’est pareil. On croit qu’on ne fait que « se remettre en forme » et on se retrouve sur la ligne de départ d’un marathon, stupéfait et rénové de fond en comble. Comment ai-je pu en arriver là ?

C’est l’effet Diderot.

Le sport change la vie. Nos vies. Et, pour peu qu’on s’y mette avec assiduité, il comporte des effets collatéraux dont on ne nous parle dans aucun plan d’entraînement.

Il commence par le corps et nous en met plein la vue. C’est une tactique déloyale pour mieux nous distraire et nous éviter de redouter le changement (vous savez comment on est, nous, les humains, devant le changement, on renâcle toujours un peu). On est occupés à s’affoler pour une bandelette révoltée, un tibia douloureux et on ne se rend pas compte que la métamorphose en cours est profonde et qu’elle touche à tous les aspects de nos vies.

Physiquement, on perd du gras, mais on prend de la masse musculaire, alors le pèse-personne ne bouge pas forcément, mais la morphologie change ; on ne rentre plus dans nos « skinny jeans », ça flotte à la taille et c’est trop serré aux mollets. On marche avec plus d’assurance, on habite mieux notre corps, on s’émerveille de ses capacités, on le soigne, on le bichonne. Ce n’est plus un objet du paraître, c’est une représentation de l’être.

L’air de rien, juste ça, c’est une révolution en soi.

À force d’exiger autant d’efforts de notre corps, on en connaît mieux les rouages, les exigences, les caprices. On est plus à l’écoute, on fait mieux le tri entre le bénin et le grave. La sueur, les endorphines et la fréquentation de toilettes chimiques aidant, on se préoccupe moins de « ce qu’on a l’air » (je dirais même qu’au 42e kilomètre d’un marathon, on s’en fiche éperdument), et plus de ce qu’on ressent. C’est tout l’instinct qui est ravivé, alerte, à l’écoute de ce qui fonctionne pour nous. Et de ce qui ne « sonne » pas bien, y compris dans les amitiés, les amours et le travail…

Tiens donc.

La fréquentation de gens qui baignent aussi dans les endorphines finit par nous contaminer, on prend goût à ceux qui cultivent la bonne humeur, les fous rires et la camaraderie. Et on va plus volontiers vers ceux qui cherchent des solutions que vers ceux qui se lamentent perpétuellement.

On se découvre une nouvelle force, bâtie sur les assises solides de la pratique d’un effort au quotidien, sur le dépassement de limites qu’on s’imposait soi-même. On ne s’est jamais senti aussi vivant, et pour plusieurs, c’est souvent une véritable renaissance. Le sport devient un révélateur, une mise en lumière de tout ce qu’on n’osait pas entreprendre par manque de confiance en nos forces et habiletés.

Mais là, on a roulé un Grand Fondo, terminé un marathon, escaladé des pics et des montagnes.

On connaît maintenant toutes les difficultés, on les a apprivoisées. On sait aussi que les surmonter est de l’ordre du possible, il n’en tient qu’à nous.

Cette révélation ouvre grand les portes…

Et, contrairement à Diderot, qui s’ennuyait de sa vieille robe de chambre, on n’a aucune envie de revenir en arrière.

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