Le droit de parole de Fitzgibbon

La Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) monte au créneau pour défendre l’un de ses membres contre l’« intimidation » dont il aurait été victime de la part du ministre Pierre Fitzgibbon. Qu’a fait le ministre ? Il a dénoncé, sur les réseaux sociaux, les questions d’un journaliste, questions qu’il jugeait « agressives et de mauvaise foi ».

Quand j’ai lu les questions du journaliste, j’ai eu la même réaction que le ministre. Un élu donne 5 millions à son alma mater, on devrait s’en réjouir, mais non, on veut en faire un scandale ! Misère…

Je suis conscient que ce ministre n’est pas toujours facile à défendre, il sait se rendre désagréable, mais dans la situation actuelle, c’est heureux qu’il ait eu le courage de s’exprimer, car peu de politiciens le font, de peur de représailles.

Si une critique comme celle formulée par M. Fitzgibbon équivaut à de l’« intimidation », j’invite la FPJQ à recommander à ses membres de faire comme les politiciens et comme tous ceux qui travaillent avec le public : se faire une carapace. Travailler dans l’espace public, c’est être constamment jugé, il faut s’y habituer et, surtout, s’il y a lieu, utiliser la critique pour s’améliorer.

De plus, le ministre a choisi de s’exprimer sur les réseaux sociaux plutôt que de donner un coup de fil à la rédaction. Ça aussi, les médias le prennent mal. Comme si les politiciens devaient être jugés en public et les journalistes en privé ? Qu’ils le veuillent ou non, les journalistes sont des acteurs publics et c’est tout à fait normal qu’ils soient interpellés publiquement. De plus, des appels privés à des patrons de presse, j’en ai fait des dizaines au cours des années et bon nombre ont été inutiles, certains patrons préférant protéger leurs employés plutôt que la qualité de l’information. S’exprimer publiquement devient donc le seul recours.

La liberté d’expression fonctionne dans les deux sens ; les politiciens ont, eux aussi, le droit de l’utiliser. C’est d’autant plus important que, dans le cas des médias, si les politiciens ne s’expriment pas, personne d’autre ne le fera.

L’absence de contre-pouvoir

Un sage de mes amis, aujourd’hui décédé, répétait souvent que pour tout pouvoir, il faut un contre-pouvoir. Les médias, le quatrième pouvoir, n’en ont pas. Le Conseil de presse du Québec (CPQ) est là pour ça, me direz-vous. Parlons-en un peu avant de revenir à M. Fitzgibbon.

Dans le cas de médias toxiques comme les radios-poubelles de Québec, le Conseil de presse est d’une inutilité absolue. Le Conseil est un tribunal d’honneur et ce sont des médias qui n’en ont pas. Les blâmes leur glissent sur la conscience comme l’eau sur le dos d’un canard2.

Dans le cas de médias respectables comme Le Journal de Montréal, le CPQ peut être utile. Une plainte qui porterait sur une règle éthique précise, sur des affirmations erronées, pourrait être entendue. Toutefois, Le Journal de Montréal n’en est pas membre, ne participe pas à ses audiences et conteste même en cour le droit du CPQ de se prononcer sur le travail de ses journalistes. Mais, de toute façon, l’enjeu n’est pas là.

Le CPQ ne cherche pas la qualité générale des médias, il ne fait que répondre à des plaintes précises3. Un journaliste peut donc faire des articles qui relèvent plus du spectacle que de l’information, s’acharner sur un politicien ou encore tourner une bonne nouvelle en mauvaise sans jamais commettre une faute professionnelle ou éthique qui lui mériterait un blâme du CPQ. De leur côté, les journalistes ne veulent toujours pas d’ordre professionnel.

Et c’est là que les politiciens entrent en jeu.

En attendant que le quatrième pouvoir trouve une façon de vraiment s’autoréguler, le cinquième pouvoir – les citoyens et leurs représentants – doit continuer à assumer son rôle de contre-pouvoir4.

Chaque année, les sondages confirment que la crédibilité des médias recule, que les gens leur font de moins en moins confiance, que la qualité de l’information diminue. C’est tragique pour la démocratie, dont les médias sont un pilier. Je suis convaincu que ce qui explique une partie de ce recul est la difficulté pour cette industrie d’accepter la critique. En effet, au lieu de voir si la critique contient du vrai, ils accusent ceux qui les critiquent de s’inscrire dans la même mouvance que Donald Trump et de miner le respect dû aux institutions. Alors on se tait, des journalistes transforment un don à une université en scandale, et les médias continuent de s’enfoncer.

L’erreur du ministre n’est pas d’avoir dénoncé le journaliste dans les réseaux sociaux. C’est son droit le plus strict. Sa véritable erreur, c’est d’avoir refusé de faire l’entrevue avec le journaliste. En plus de le dénoncer dans les réseaux sociaux, il aurait dû répondre à ses questions, si mauvaises soient-elles. La critique des médias et la reddition de comptes par les politiciens sont, toutes les deux, essentielles à la démocratie.

Allez, joyeux Noël, on se revoit en janvier.

2. Consultez Les brutes et la punaise – Les radios-poubelles, la liberté d’expression et le commerce des injures, de Dominique Payette

3. Consultez « L’avenir incertain de l’autorégulation médiatique au Québec », de Marie-Ève Carignan et Alexandra Joseph

4. Consultez Le cinquième pouvoir – La nouvelle imputabilité des médias envers leurs publics, sous la direction de Marc-François Bernier

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