Opinion  Politique

Mettre fin au malaise des jeunes femmes au pouvoir

Il est temps que le monde politique fasse une grande remise en question sur le sexisme latent qui existe en son sein

Le 6 décembre, je me suis dit enfin ! Catherine Fournier, 24 ans, venait de battre le record de la plus jeune femme élue à l’Assemblée nationale. Ce record, je le détenais jusque-là, élue à 25 ans en 2004. Il aura fallu 12 ans…

Même s’il s’agit d’une bonne nouvelle, c’est tout de même incroyable qu’en 2016, elle soit encore la seule femme de moins de 40 ans dans notre Parlement. Je me suis aussi dit qu’elle ferait ses batailles, mais que comme moi à l’époque, elle se sentirait bien seule par moments. En effet, il n’y a que 29 % de femmes à l’Assemblée nationale, et leur moyenne d’âge est de 52 ans.

Triste constat, en cette fin 2016 : l’égalité des femmes recule. Que l’on pense à la défaite historique d’Hillary Clinton, certes due à un ensemble de facteurs très complexes, mais dont le caractère misogyne a été maintes fois évoqué. À toutes ces femmes autochtones disparues ou assassinées, à l’émoi suscité par la tenue vestimentaire de Safia Nolin. Ou encore, aux graves allégations d’abus sexuels à l’endroit du député Gerry Sklavounos, faites dans la foulée d’une tout aussi grave vague d’agressions sexuelles aux résidences de l’Université Laval.

En 2016, il n’y a que 29 % de femmes au Parlement québécois, un maigre 28 % à Ottawa, 32 % de conseillères municipales et à peine 17 % de mairesses. Misère !

Je vis et j’observe la politique de l’intérieur depuis près de 10 ans. Mon constat est qu’il y a au moins deux grands freins à l’arrivée des jeunes femmes au pouvoir : d’abord, l’incompatible conciliation famille-politique dans le système actuel, qui fait que les femmes sont trop peu nombreuses pour se regrouper et s’imposer. Puis, il y a le boys club du pouvoir, qui domine encore au Québec et qui considère les jeunes femmes comme d’éternelles stagiaires talentueuses qui seront peut-être un jour mûres pour des responsabilités.

Une femme devient mature en politique lorsqu’elle a 35-40 ans (et encore !), alors qu’on n’hésite pas à confier des responsabilités importantes à de jeunes hommes depuis des décennies. On a même élu un premier ministre de 36 ans : Robert Bourassa ! La situation est identique pour le personnel politique, où les jeunes femmes sont systématiquement des juniors, et où les quelques femmes chef de cabinet sont encore moins payées que leurs collègues masculins.

« Tiens-toi tranquille »

Je citerai quelques anecdotes pour illustrer la profondeur du malaise lorsqu’une jeune femme arrive à se faufiler dans les sphères du pouvoir. Quand j’ai été élue à l’Assemblée nationale, on m’a vite assise dans une salle de conférence pour m’expliquer ce que mon statut de jeune femme m’imposait : « Elsie, tu es la plus jeune députée au Québec. Si tu veux préserver ta réputation, être prise au sérieux, tiens-toi tranquille. Tu as 25 ans, mais comporte-toi comme si tu en avais 50 et tout ira bien ! ». 

Pour être certaine de ne pas aguicher personne et d’être prise au sérieux pour mes idées, j’étais ultraconsciente de mon style vestimentaire. Je me suis par la suite souvent heurtée à l’indifférence d’hommes, souvent d’une autre génération, qui me traitaient comme si je n’étais qu’une belle fille qui passait par là et non comme une femme compétente, éduquée, avec des idées.

Je ne compte plus les blagues déplacées auxquelles j’ai été exposée dans les rencontres professionnelles. J’ai appris à en rire pour éviter les malaises.

Je ne fais pas figure d’exception, ces anecdotes sont légion dans les lieux de pouvoir. Ce qu’elles mettent en lumière, c’est un enjeu majeur de notre société soi-disant ouverte et progressiste. C’est le manque de crédibilité des jeunes femmes dans la société en général et particulièrement en politique. Ces femmes compétentes de 20-35 ans à qui on dit qu’elles iront loin… mais plus tard !

Un rôle fondamental

Il est temps que le monde politique fasse une grande remise en question sur le sexisme latent qui existe en son sein, qu’il prenne acte de l’absurde disparité qui existe encore entre les hommes et les femmes. Il est temps qu’il réalise que gouverner en boys club a un impact direct et néfaste sur l’égalité entre les hommes et les femmes dans toutes les sphères de la société. Les gouvernements ont un rôle fondamental à jouer dans la lutte pour l’égalité, comme lieu où sont balisés, grâce aux lois, les contours du vivre ensemble. Ils ont un devoir d’exemplarité.

Certains diront qu’il ne faut pas faire d’amalgames ; c’est à la mode en politique. Au contraire, il est temps d’en faire, de lier les effets à des causes systémiques. J’ai l’intime conviction que si l’échiquier politique était plus féminin, cela aurait des répercussions positives sur les relations hommes-femmes dans tous les domaines.

Chaque fois que la situation des femmes progresse, c’est toute la société qui avance. Il est urgent de rajeunir, colorer et féminiser le pouvoir au Québec. C’est ce que je nous souhaite pour 2017.

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